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batailleur infatigable qui, comme ses ancêtres scandinaves, demande à faire encore dans l’éternité sa besogne de héros ? Cette rodomontade épique fièrement inscrite sur cette tombe franco-sarrasine en complète l’expression robuste, brillante et fière.

Pour trouver une apparition certaine du génie architectural de France, il faut aller à Venosa, dans l’abbaye de la Sainte-Trinité fondée par Drogon et Guiscard, où se firent ensevelir tous les frères héroïques. Par une de ces ironies habituelles du sort, toutes leurs tombes ont disparu. La seule épargnée est celle de la première femme de Robert Guiscard, la Normande Alderada, répudiée par lui, pour épouser, après ses victoires, une princesse salernitaise. Alderada, mère de Bohémond, survécut, d’ailleurs, à son premier mari, et même eut le temps d’en perdre deux autres, tous deux Normands, avant de reposer ici. La caisse sépulcrale en marbre sous une toiture portée par deux colonnes, comme certains sarcophages à Rome, rappelle à M. Bertaux ceux de Godefroy de Bouillon et des rois de Jérusalem dont Chateaubriand trouva encore, en 1806, les débris dans l’église du Saint-Sépulcre. C’est d’un art grave et simple, d’une noblesse calme et forte (1122).

A la Trinité, deux églises, successivement construites, sont encore accolées l’une à l’autre. L’une, la petite, bâtie par Drogon (1051-1059), celle où se trouvaient les tombes, a été si fort remaniée, morcelée, dénaturée, qu’on y retrouve à peine quelques fragmens anciens, dont le plus curieux, le tympan en marbre d’une porte du XIIIe siècle, semble une copie d’ébénisterie sarrasine. La grande, celle dont le plan date de 1135, n’a jamais été achevée, comme tant d’autres monumens grandioses de cette époque, en France et en Italie. Mais ce qui a été fait, ce qui résiste, donne l’idée d’une conception puissante et majestueuse, et cette conception est résolument française, malgré l’emploi, comme toujours, de quelques beaux matériaux antiques. L’ensemble l’est par son plan, la nef l’est, en outre, par tous ses détails d’architecture et de sculpture. L’œuvre, interrompue à deux reprises, fut sans doute abandonnée en 1297, quand Boniface VIII en déposséda les Bénédictins pour y appeler les Hospitaliers. On ne trouve les mêmes dispositions, le même chœur à déambulatoire avec trois chapelles rayonnantes, que dans l’église, peu distante, d’Acerenza, puis, au loin, près de Naples, dans l’église d’Aversa, autre fondation normande. Il faut ensuite