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la rupture de toutes nos alliances, à un isolement complet au milieu de l’Europe menaçante. Entre les mains de ceux qui la dirigent, la France a joué, en 1866, le rôle d’une puissance de troisième ordre. Est-il vrai, oui ou non, que la dette publique a été augmentée de moitié, que la Ville de Paris ploie sous le poids de ses engagemens contractés malgré la loi ? Voilà votre prospérité, je l’appelle désastre. » — « Si les gens de l’extrême gauche, écrivait Doudan, avaient du bon sens et de la mesure, nous pourrions cheminer, mais ils manœuvrent la machine constitutionnelle comme auraient pu le faire les sept chefs devant Thèbes, qui n’avaient pas la main légère. Au fond des théories de cette Gauche est caché le goût de la force. Les lentes démarches du droit ont toujours pesé à ces animaux sauvages. On ne peut les atteler. Il est besoin de chevaux généreux, mais dociles, pour conduire le char de la liberté parmi les abîmes qui bordent les chemins ; ils n’ont fait que ruer pendant la discussion de la presse. »

Thiers ne rua point, mais il mordit à belles dents. Lui aussi récrimina sur les fautes commises et sur les malheurs de la patrie impossibles à contester : « Je voterai la loi, mais ne m’obligez pas à dire que la liberté de la presse est rétablie en France. Non, grâce à la manière dont les délits sont punis, grâce à la constitution du tribunal, grâce au défaut de publicité, grâce à tous les moyens d’influence que vous vous êtes réservés, la liberté de la presse reste dans vos mains. C’est une liberté de tolérance, ce n’est pas la liberté véritable. » Son discours ne fut qu’une répétition délayée du beau discours sur les « libertés nécessaires. » On y relève une définition de la liberté assez bizarre et qui ne la rend pas attrayante : « La liberté, c’est une grande loterie organisée par Dieu, et les grandes nations peuvent sans crainte mettre à cette loterie, car, si elles y perdent quelquefois, le plus souvent elles gagnent. » Il fut plus heureux dans une observation qui doit être retenue comme un axiome incontesté. On avait l’usage de distinguer entre la discussion modérée qu’on autorisait et la discussion outrageante qu’on poursuivait ; Thiers repoussa cette distinction par où se peut glisser l’arbitraire le plus despotique, et il dit : « On peut interdire la discussion sur certains points ; mais, quand on l’a accordée, le plus et le moins sont impossibles à déterminer dans les langues humaines. »

Cassagnac profita habilement des ruades et des morsures