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de Louis-Philippe. Il ne faisait rien froidement : il apporta donc de la passion dans ce rôle, passion surtout de justice. Aucune recommandation, d’où qu’elle vînt, n’obtenait accès auprès de lui, et il n’accordait ou ne refusait qu’en tenant compte du mérite, du travail, de l’intérêt de la science. Cette haine du favoritisme lui créa plus d’ennemis qu’une pratique éhontée du népotisme. Après 1852, il prit sa retraite. On le laissa dans son logement de la Sorbonne, occupé jadis par Turgot, dont le seul luxe était sa riche bibliothèque. Ne voulant pas que ce trésor amoureusement amassé se dispersât, il en fit don à l’Université. L’Empereur, en retour, fit placer son nom sur une des rues du quartier Latin, et lui proposa, par son confrère Lebrun, de le nommer membre de la Commission de la Correspondance de Napoléon Ier. Il refusa, mais en se défendant de tout sentiment hostile à l’Empire. En effet, au grand déplaisir de ses amis, il se montra constamment sympathique à l’Empereur. Il était, avec Duchâtel, presque le seul des hommes des anciens partis, ayant éprouvé les terreurs d’attente des années 1850-1851, qui se souvînt. Il sentait gronder encore au fond de la société les passions de haine ou d’ignorance dont Napoléon III avait étouffé l’explosion menaçante, et il ne voulait pas contribuer à leur ouvrir forcément le champ. Aussi fut-il un de ceux qui, au milieu des attaques sectaires, soutinrent mon courage par ses approbations affectueuses.

Dans sa retraite, il abandonna à peu près la philosophie, se contentant de réimprimer et de corriger, pas toujours avec bonheur, ses anciennes œuvres. Il porta surtout son inextinguible passion dans l’histoire et la critique. Là comme partout, il fut génial, créateur ; les manuscrits lui dirent des choses que personne n’avait entendues ; il retrouva le véritable Pascal sous le badigeonnage que les jansénistes avaient étendu sur les Pensées ; avec une intuition divinatoire, il découvrit l’origine et le fondement de la foi de ce sublime désespéré, croyant par scepticisme. Là aussi il a fait école et il a suscité les Régnier, les Boislisle, qui, grâce à la noble ambition des Hachette, ont commencé des éditions critiques de nos classiques, uniques dans toutes les littératures. Ses biographies attachantes des grandes dames du XVIIe siècle reposent sur un fond de forte érudition, et il a déployé dans quelques pages historiques sur la jeunesse de Mazarin l’ampleur simple des meilleurs maîtres. Beau génie dans tous les sens, vaste autant que solide, donnant