Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

définition quelconque de Dieu est anti-philosophique. « Platon estime qu’il y a quelque vice d’impiété à trop s’enquérir de Dieu et du monde et des causes premières des choses[1]. » La raison trouve au plus intime d’elle-même la vision de Dieu comme notre œil perçoit, dans les profondeurs du firmament, les scintillemens des soleils : mais pas plus notre raison que notre œil ne peuvent définir les immensités qu’ils ont perçues. La philosophie a une psychologie, une métaphysique, une logique, une morale ; elle ne peut pas avoir de théodicée ; la théodicée est du domaine exclusif de la religion. Par ces (empiétemens Cousin a compromis cette raison qu’il avait si bien servie, et encouragé l’attaque de ceux qui lui ont refusé tout parce qu’il lui accordait trop. Au lieu d’assurer, entre la philosophie et la religion, la concorde qui fût résultée du cantonnement dans leurs sphères propres, il a allumé une guerre inévitable en leur donnant le même objet à se disputer. En effet deux polémistes catholiques, Gioberti et l’abbé Maret, incriminèrent sa définition de Dieu, homme et monde, de panthéisme, Cousin expliqua, atténua, rectifia, puis capitula et accorda que « Dieu n’est pas le monde, bien qu’il y soit partout présent en esprit et en vérité. « N’eût-il pas mieux valu ne pas s’engager dans ces spéculations extra-philosophiques ?


VII

Dans cette philosophie où il s’est établi en docteur indépendant de toute théologie. Cousin préconise une autre théorie : « Tous les systèmes que la raison conçoit se classent en quatre irréductibles : l’idéalisme, le sensualisme, le scepticisme et le mysticisme. » La lutte de ces systèmes et les alternatives sans cesse renouvelées de leurs succès et de leurs revers constituent toute l’histoire de la philosophie, lutte sans issue, car chacun d’entre eux, à côté de l’erreur, contient une portion de vérité, par quoi il se soutient et se relève des défaites. Ne serait-il pas possible de conclure un traité de paix entre ces formes de la pensée, qui ne sont fausses en partie que parce qu’elles sont incomplètes et que chacune ne saisit qu’un des aspects de la vérité totale difficile à embrasser à la fois dans son ensemble ? Ne serait-il pas possible d’extraire de ces diversités une philosophie unique où

  1. Montaigne.