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Longtemps avant d’y arriver, on aperçoit une haute bâtisse rectangulaire, dont la masse imposante semble tout écraser autour d’elle. On l’appelle le prætorium. C’est là peut-être qu’habitait le commandant en chef de la légion Tertia Augusta qui était cantonnée à Lambèse, avec quelques troupes auxiliaires.

En réalité, on ne sait pas trop quelle fut la destination de cet édifice. Il appartenait à un ensemble dont les ruines sont à moitié ensevelies sous les constructions récentes du pénitencier. Mais, malgré les réserves des érudits, je ne puis croire qu’un bâtiment si pompeux et qui est resté debout pendant tant de siècles, alors que tout le reste est par terre, ne fût pas la pièce capitale de cette vaste ordonnance. Qu’importe qu’il ait servi, ou non, de résidence au légat impérial ! À en juger par le poids dont il pèse encore sur les plaines numides, il apparaissait certainement aux yeux des peuples comme le symbole écrasant de l’Empire, comme le sanctuaire même de Rome, tout glorieux de sa présence et de sa domination perpétuelles !…

Le prætorium se dresse au milieu d’une grande cour dallée qui n’est déblayée qu’en partie.

Lorsque j’y pénètre, une équipe de pénitenciers, sous la conduite d’un garde de prison, est (en train de dégager les soubassemens de toute une série de cellules. Les uns manient le pic ou la pioche, les autres poussent des wagonnets sur des rails Decauville, des brouettes circulent. Cela fait un semblant de vie dans ce lieu voué au silence et à la mort. Évidemment, ces détenus aux crânes ovoïdes et tondus de près, aux visages glabres, aux bourgerons de treillis serrés à la taille, ce garde-chiourme en uniforme galonné de jaune, qui, le fusil en bandoulière, surveille son bétail humain, — toutes ces rudes silhouettes ne rappellent que de très loin les légionnaires de la IIIe Angusta. Pourtant, cette escouade de terrassiers militairement disciplinés ne détonne pas trop dans cette cour de caserne.

Qu’on ne se laisse point abuser néanmoins par la similitude des mots ! Cette caserne de Lambèse ne ressemble guère aux nôtres ! L’aspect pouvait en être austère et quelque peu farouche, il était tout à fait exempt de vulgarité. On sent que les mains qui en ont dessiné le plan étaient celles-là mêmes qui ont élevé les arcs de triomphe et les temples, pour la plus grande gloire du Sénat et du Peuple romains ! La cour tout entière pavée, environnée d’un portique et décorée de statues, avait la magnificence d’une