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par momens les reflets d’une lumière blanchâtre et douloureuse, flotte une poudre calcaire impalpable qui semble venir de toutes les ruines éparses.

Je chemine ainsi pendant deux longues heures, sans rien découvrir qui égaie la monotonie du voyage. C’est une véritable étape militaire ! Je suis l’ancienne route des légions, celle qui conduisait de Lambèse à Théveste. Et je songe que la figure des lieux n’a pas dû changer beaucoup, depuis l’époque où les vétérans de la IIIe Augusta parcouraient cette ligne stratégique. On est loin ici des grands centres civilisés, des campagnes fertiles du littoral, couvertes de cultures, de jardins, de villas, de métairies. On entre dans la zone de défense : immense région inhabitée, où passent, de loin en loin, des convois de soldats et où l’on ne trouve, entre les villes très éloignées l’une de l’autre, que des fortins ou des postes d’observation...

Tout à coup, mon cocher brandit son fouet dans la direction de l’Aurès. Il me signale un grand tas de pierre qui, de loin, ressemble à un éboulement de la montagne. C’est Thimgad ! Nous n’en sommes plus qu’à deux kilomètres environ ! Je regarde, essayant en vain de préciser la configuration de la ville morte... Dans le vert illimité de la steppe, à travers la poussière flottante qui salit l’espace nébuleux, je ne distingue qu’une large tache livide, au bord de laquelle s’enlèvent crûment des taches rouges plus petites. Ce sont des tuiles sur la toiture de quelques cambuses. On dirait l’entrée d’une carrière !... Enfin, je reconnais les deux colonnes jumelles du temple de Jupiter Capitolin, qui montent superbement par-dessus l’amoncellement des décombres...

Nous faisons halte devant l’hôtel qu’on a bâti à quelques centaines de mètres en avant de l’enceinte antique.

Tout d’abord, la vue qui s’offre de cet endroit est assez ingrate. On n’embrasse pas encore le panorama de la ville, et l’on n’a devant soi que les débris des remparts qui se développent en une ligne rigide et qui ne s’élèvent guère qu’à hauteur d’appui. Ce premier aspect n’a rien qui surprenne. Tout est régulier, géométrique, sans couleur et sans style. On se rappelle que Thimgad n’est en somme que le quadrilatère développé d’un