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a été trop mêlée à la mienne pour que je songe à les séparer. Il n’était pas grand, mais d’une charmante figure, avec un corps de fer au service de l’âme la plus haute et la plus énergique. Si les événemens l’avaient mieux servi, ou s’il avait eu dans le caractère un peu de la souplesse qui nous a manqué à tous, il paraissait marqué pour les plus hautes destinées.

Louis, le troisième, était né en, 1776 ; il partit en 1792 à l’âge de seize ans pour l’armée, et nous ne l’avons jamais revu. Un de ses compagnons revenu au pays fit connaître les détails de sa mort. Dans un combat dont le nom m’a échappé, il montait à l’assaut d’une position quand une balle lui brisa le bras droit ; il mit son sabre entre ses dents et continua à monter en s’aidant de la main gauche, jusqu’au moment où une nouvelle blessure le fit tomber. J’ignore jusqu’au nom du sol qu’il a arrosé de son sang. L’essentiel est qu’il soit mort en brave.

Le quatrième était Olivier, mon compagnon inséparable et mon aîné de deux ans. C’est avec lui que j’ai quitté la maison paternelle pour courir les mers, et son nom reviendra souvent dans ce récit. Lui aussi est mort pour son pays, ayant seulement vingt-trois ans d’âge, mais douze ans de combats et d’actes de courage qui auraient suffi à honorer une longue vie.

Le souvenir de mes premières années est assez confus dans ma mémoire ; personne n’a été là plus tard pour me les rappeler. Mon frère Pierre était parti l’année même de ma naissance pour un voyage au long cours sur les côtes de Guinée ; il prit goût alors à la navigation et entra dans la marine royale, mais son esprit d’aventure le portait vers les campagnes lointaines et les voyages de découvertes. Quand il revenait, il nous faisait des récits extraordinaires qui enflammaient nos imaginations ; nous montions alors, Olivier et moi, au haut des grands peupliers qui bordent la Vilaine, et nous nous faisions balancer pendant des heures, les jours de grand vent, pour nous donner la sensation du roulis des navires.

Quand notre pauvre mère fut morte, personne ne s’occupa plus de nous diriger. La Révolution avait fait fermer les écoles ; mon père, absorbé par ses occupations, nous laissait livrés à nous-mêmes, et nous en profitions Olivier et moi pour mener une vie conforme à nos goûts. Hiver comme été, nous courions la campagne ou les rues de Rennes, jouant ou nous battant avec les derniers polissons. C’était une triste éducation pour des enfans