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le gouvernement de la République de voir dans un de ses ports une partie des forces navales de l’Espagne, et la consécration de cette alliance fut probablement le but principal de cette campagne, à laquelle le ravitaillement de l’armée de Moreau n’avait servi que de prétexte.

J’eus à cette époque le plaisir de voir le Tyrannicide échanger son nom barbare contre celui de Desaix, et la satisfaction de voir partir le commandant Lallemand. Il fut remplacé par le capitaine de vaisseau Christy de la Pallière, qui a toujours été pour moi d’une bonté parfaite et m’a bien dédommagé des vexations de son prédécesseur.

L’escadre de l’Océan ne fit cette année-là rien qui mérite d’être cité. Nous sortions souvent de Brest et faisions des exercices de manœuvres très profitables à l’instruction des équipages, mais il nous manquait les longs séjours à la mer, sans lesquels on ne fait pas de vrais marins.

Le premier Consul songeait alors à secourir l’armée d’Egypte, et il fit embarquer des troupes sur une division de l’escadre dont le Desaix faisait partie, et dont le contre-amiral Ganteaume eut le commandement. Pour donner le change à l’opinion publique sur notre véritable destination, on nous fit embarquer aussi des familles de colons et d’anciens employés de Saint-Domingue, afin d’accréditer le bruit d’une expédition dans cette colonie. Le procédé pouvait être bon, mais il était cruel. Le personnel de chaque navire se trouva ainsi doublé, et nous passâmes ainsi les derniers mois de cette année froide et humide (1800), appareillant sans cesse sans parvenir à tromper la surveillance de la croisière anglaise. Les conditions sanitaires étaient donc déplorables, quand, le 23 janvier 1801, nous parvînmes à prendre le large, par une tempête de neige et de grêle qui nous déroba à la vue des ennemis. Nos vaisseaux donnèrent les uns dans l’Iroise, les autres dans le raz de Sein, et se trouvèrent par bonheur ralliés au bout de quatre ou cinq jours en vue du cap Saint-Vincent, qui était le rendez-vous convenu. L’escadre composée des vaisseaux l’Indivisible, le Formidable, l’Indomptable, le Desaix, le Jean-Bart, la Constitution et le Dix-Août, et des frégates la Bravoure et la Créole, était commandée par les contre-amiraux Ganteaume et Linois.

Le temps avait été très mauvais jusqu’aux abords du cap Saint-Vincent ; les sabords constamment fermés avaient rendu