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sommes-nons parfois tentés d’éprouver une sorte de reconnaissance envers ceux qui nous l’ont administrée, bien qu’ils l’aient fait un peu rudement. C’est une vraie leçon de choses, prodigieusement supérieure aux simples leçons d’idées, de théories et de mots au moyen desquelles on a cherché à nous faire croire à la paix perpétuelle. Sans doute la paix perpétuelle est un beau rêve, mais c’est un rêve, et il a le dangereux inconvénient de bercer et d’endormir le pays dans une mollesse trompeuse d’où la réalité vient un jour ou l’autre le réveiller en sursaut. Si la crise actuelle nous délivre à jamais de ces distributeurs de narcotiques, nous pourrons dire qu’à quelque chose malheur est bon.

Toutefois, ils ne sont coupables que d’idéologie, et il y a des responsabilités morales plus lourdes que la leur. Nous nous garderons bien, à l’heure où nous sommes, de jeter un discrédit immérité sur notre armée et sur notre marine : elles seraient certainement à la hauteur de tous les devoirs qui leur incomberaient. Mais enfin, elles pourraient encore être plus fortes, et elles le seraient si elles n’avaient pas été livrées pendant plusieurs années aux mains que tout le[monde sait. On peut se rendre compte aujourd’hui de ce qu’a eu de criminel l’odieux et honteux système qui a fait dépendre l’avancement de nos officiers de fiches plus ou moins favorables, données par de misérables informateurs à de plus misérables ministres qui y ajoutaient foi. Le nerf de l’armée en a été détendu, et il y a quelque chose à faire, quelque chose d’urgent, de prompt, d’immédiat, pour lui rendre l’élasticité et la vigueur indispensables au moment de l’action. À la lumière des incidens qui se pressent et se précipitent depuis quelques jours, on aperçoit plus distinctement ce qu’ont de nécessaire les conditions d’existence d’un grand pays. Les chimères se dissipent ; les faiblesses et les complaisances coupables apparaissent avec leur vrai caractère de gravité ; on éprouve un invincible besoin de voir les choses et les gens remis à leur place. Mais on constate aussi, et ce spectacle est consolant, avec quelle rapidité l’esprit pubUc, un moment troublé, reprend son équilibre et son sang-froid. On a dit que du temps avait été perdu au cours des négociations : ce n’est pas du temps perdu que celui qui a permis à l’opinion de se reprendre, de s’éclairer, et de se fixer. Ce sont là de bonnes raisons de confiance et d’espérance : si les événemens s’aggravaient, on verrait tout de suite que l’unité morale et patriotique de la France n’a nullement subi les altérations que des esprits chagrins ou malveillans ont cru y découvrir. Mais nous n’en sommes pas là. Il faut se défier également des accès d’optimisme et de