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gouvernement de Lhassa. Même ils ont été dépouillés de régions faisant partie intégrante de leur territoire, comme le Petit Thibet et le Moyen Thibet, et ils ont vu des expéditions dirigées à deux reprises par de grands feudataires de l’Inde contre Lhassa qui, en définitive, a été contraint de payer tribut au Népal. Aussi ne faut-il point s’étonner si la rancune et la méfiance des Thibétains se sont accrues au cours du dernier siècle, et s’ils ont redoublé de précautions pour n’avoir rien de commun avec les Anglais.

Leur méfiance s’est étendue même à tous les Européens auxquels ils interdirent l’entrée de Lhassa. Toutes les routes aboutissant à cette ville furent jalousement gardées par les autorités thibétaines et chinoises et des sentinelles y furent postées pour défendre aux Européens l’entrée de la ville sainte. Naguère encore, avant les derniers événements que nous allons raconter, dès qu’un voyageur suspect d’être Européen était signalé par les soldats ou par les habitans (et ces derniers devaient dénoncer la chose sans retard sous peine de mort), on dépêchait à sa rencontre des fonctionnaires escortés de cavaliers armés, qui étaient chargés d’arrêter l’explorateur, et de lui faire comprendre poliment qu’il devait rebrousser chemin, et qu’un pas en avant pourrait lui coûter la vie.

Mais, malgré toutes les mesures prises pour défendre jalousement l’accès du Thibet, des Européens se sont rencontrés qui ont osé tenter de violer la consigne rigoureuse du gouvernement de Lhassa. On dirait même que le vouloir obstiné de solitude dont ont fait preuve les Thibétains n’a fait que piquer la curiosité des Occidentaux accoutumés à la pénétration facile des nations modernes. Dès 1811, un Anglais, Thomas Manning, voyageant pour son compte personnel, réussissait à demeurer une année entière à Lhassa. Il est vrai qu’il ne put le faire qu’en gardant un déguisement et en cachant sa véritable nationalité. Une année après, Morcroft et Hersay exploraient le Gnari, la province sud-occidentale du Thibet. En 1846, deux missionnaires français, les Pères Hue et Gabet, eurent la chance de parvenir sous un déguisement à Lhassa, et d’y faire un séjour de six semaines, avant d’être reconnus par les agens du gouvernement qui les expulsèrent de la ville. De 1854 à 1858, les trois frères Schlagintweit visitèrent le Moyen Thibet et parcoururent toute la lisière ouest du Thibet. En 1865, le gouvernement britannique, préoccupé de la situation créée à l’Inde par l’isolement