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voir l’amiral Ganteaume, qui était ministre de la Marine. Il me demanda tout d’abord où j’avais été décoré, et, quand il sut que c’était après Algésiras, il me promit sa protection. Je fus en effet nommé lieutenant de vaisseau peu de temps après, à la date du 24 juillet 1811.

Malgré l’irritation qu’avait causée à l’Empereur le désastre de Trafalgar, il était trop bon juge en . fait de courage pour ne pas rendre justice aux traits d’héroïsme qui avaient éclaté dans cette journée. Les commandans Lucas, du Redoutable, et Infernet, de l’Intrépide, avaient été mandés tous deux à Paris, comblés d’éloges par l’Empereur, et avaient reçu de sa main la croix de commandeur de la Légion d’honneur. Le commandant Internet avait alors parlé de ma conduite au ministre, et avait produit une lettre collective que mes camarades de l’Intrépide, réunis sur le Britannia, avaient signée à mon adresse après la bataille. Après six ans écoulés et tant de sang répandu dans toute l’Europe, ces souvenirs n’étaient pas effacés au ministère de la Marine. J’y fus donc très bien traité, et mis à l’abri des réductions de cadres qui s’annonçaient dès lors, et qui à la chute de l’Empire ruinèrent tant de carrières, et réduisirent à la misère tant de braves officiers.

Je fus d’abord expédié à Anvers pour y prendre le commandement de trois cents matelots hollandais que je devais mener à pied à Toulon. Ces hommes ne parlaient pas français ; ils me suivaient à contre-cœur, et ce voyage fut une pénible corvée. J’avais acheté un cheval pour faire plus commodément la route ; le caractère de cet animal ne cadrant pas avec le mien, je mis pied à terre, et l’ayant attaché à un arbre, je me mis en devoir de lui administrer une correction. Comme j’aurais dû le prévoir, la bride se rompit, le cheval s’échappa et court peut-être encore. Si je m’étais lancé à sa poursuite, je n’aurais plus retrouvé mes matelots, et je préférai faire le sacrifice du cheval, quelque douloureux qu’il fût.

En arrivant à Toulon je reçus l’ordre de me rendre à Gênes pour y armer le vaisseau l’Agamemnon de 74, récemment construit. À cette époque, les Anglais publièrent qu’ils feraient pendre, s’ils les reprenaient, les officiers prisonniers sur parole qui s’étaient évadés d’Angleterre. Le préfet maritime de Toulon, me croyant dans ce cas, me fit rappeler de Gênes et embarquer sur la frégate école des aspirans. Il me fut facile de prouver que