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REVUE LITTÉRAIRE

LE VÉRITABLE BERNARDIN DE SAINT-PIERRE

Il paraît que nous ne le connaissions pas encore, C’est l’opinion que soutient, avec une belle intransigeance, M. Maurice Souriau dans une étude dont nous sommes loin d’adopter toutes les conclusions, mais qui est intéressante, pleine de renseignemens et constitue un excellent travail critique. Elle vient à point pour nous troubler utilement dans notre tranquillité. Il est bien vrai que, pendant longtemps, on a accepté sans méfiance une image toute conventionnelle de Bernardin de Saint-Pierre. La faute en était d’abord à Bernardin lui-même. A force de parler de sa bonté, de sa douceur et de sa sensibilité, il a commencé d’organiser sa propre légende. Nous avons d’autre part une tendance presque irrésistible à nous représenter un homme à la ressemblance de son œuvre ; et le moyen de croire que l’auteur de Paul et Virginie ne fût pas toute ingénuité ! Enfin la source à laquelle tous les biographes de Bernardin ont puisé est la Vie qu’en a écrite Aimé Martin. Or celui-ci, qui avait été le secrétaire du maître, et qui avait épousé sa veuve, s’est consacré, avec un zèle éperdu, à la glorification de l’homme dans le ménage de qui il s’était installé. Ainsi s’est formé un portrait de « respectable vieillard, » qui est un modèle dans le genre dessus de pendule. Mais ce portrait a été, depuis lors, fortement retouché et ramené à des lignes moins idéales. Sainte-Beuve n’avait pas été dupe, et, dès 1852, il mettait le lecteur en garde contre ce qu’il trouvait de romanesque et d’impossible dans la biographie d’Aimé Martin. « Il nous faut, disait-il, sortir au plus vite de ce genre exalté pour trouver un Bernardin réel. » En ces derniers temps, deux livres ont marqué dans l’étude de la vie