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charge des escadrilles, qui accouraient de Tsoushima, avides de prendre leur part de dangers et de gloire. L’amiral Togo les lance à l’attaque de ce qui reste de la flotte russe.

Ces débris, cependant, faisaient bonne contenance et se ralliaient au pavillon de l’amiral Nebogatof, devenu commandant en chef. Cet officier général, sur qui pesait désormais une responsabilité si lourde, ne désespérait pas de gagner Vladivostock à la faveur de la nuit et de l’épuisement que des coups déjà ralentis montraient chez l’adversaire. Espoir bientôt évanoui ! A peine avait-il formé une ligne de file avec le Nicolas-Ier, le Navarin, le Sissoï-Veliki, les trois gardes-côtes cuirassés, un des croiseurs blindés (et peut-être l’Orel[1], qui, en tout cas, le rallia pendant la nuit), flanqué de l’éclaireur Izoumroud, que trente torpilleurs se jetaient sur lui, soutenus par les feux toujours nourris des croiseurs cuirassés japonais.

Cette première attaque, toutefois, fut repoussée par la ligne russe ; mais déjà le Kniaz-Souvorof et le Borodino, isolés, pantelans, à peu près sans défense[2], avaient succombé. Une deuxième attaque, en pleine nuit, sous les faisceaux croisés des projecteurs russes et japonais, eut raison du Sissoï-Veliki, du Vladimir-Monomakh et de l’Amiral-Ouchakof. Le Navarin fut coulé vers le matin, au cours d’une troisième attaque. Les escadrilles japonaises avaient rempli l’attente du commandant en chef.

Lorsque le soleil du 28 mai éclaira le vaste théâtre de la plus terrible bataille navale des temps modernes, il montra aux Japonais, qui accouraient des quatre points de l’horizon, des coques lamentables que le flot poussait vers la côte de Kiou-siou. C’étaient le Nicolas-Ier, l’Orel, l’Amiral-Seniavine et l’Amiral-Apraxine. La résistance de ces malheureux navires, entourés par la flotte victorieuse, ne pouvait être bien longue : elle fut abrégée, en tout cas, par le « sentiment d’humanité » qui poussa

  1. Le rôle de l’Orel pendant la phase principale de l’engagement est assez mal défini pour que certains narrateurs l’aient rangé dès ce moment dans la division Nebogatof, où l’amiral Rodjestvensky l’aurait renvoyé, n’ayant qu’une médiocre confiance dans l’esprit militaire de l’équipage de ce bâtiment. Sous toutes réserves encore, car l’analyse précitée fait plutôt l’éloge de la conduite de l’Orel pendant la journée du 27.
  2. Relations d’officiers japonais et de l’officier russe chef de la tourelle avant du Borodino.