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formule, nous a-t-il livré le secret de ce style dont personne en notre langue n’a égalé la puissance et la variété. Le style de Pascal, — et c’est peut-être la meilleure définition qu’on en puisse donner, — a ceci d’admirable qu’il « s’accommode à tous nos besoins, » et qu’il les « remplit » tous. Logique, ironie, éloquence, poésie, mépris, colère, pitié, tendresse, il prend tous les tons ; toutes les formes de la pensée, toutes les nuances du sentiment, il les exprime avec une aisance, avec une justesse et avec une force qui tiennent véritablement du prodige. Nous autres, médiocres écrivains que nous sommes, notre expression reste toujours en deçà et au-dessous de notre pensée : elle en est un pâle reflet, un écho lointain et affaibli, et nous nous lamentons de ne savoir rendre avec des mots ce que nous croyons sentir en nous de profond et de rare. Pascal, lui, a l’expression adéquate : c’est la pensée même qui, comme la déesse antique, jaillit tout armée du cerveau de l’écrivain. De là la vigueur ramassée de ce style ; de là sa force de persuasion et d’émotion, et ce que je voudrais pouvoir appeler sa capacité de vibration et d’ébranlement. Il est telle parole de Pascal qui entre en nous avec une telle force irruptive que, de longues années durant, aux heures de rêverie solitaire, nous l’entendons retentir encore au fond de notre âme. — « Ceux qui croient que le bien de l’homme est en la chair, et le mal en ce qui le détourne du plaisir des sens, qu’ils s’en soûlent et qu’ils y meurent. » Je défie bien quiconque a lu ceci pour la première fois de n’en avoir pas reçu comme une véritable secousse physique. C’est le geste réprobateur du Dieu d’Israël qui abandonne son indigne créature ; c’est l’accent irrité du prophète hébreu qui repousse et qui condamne. — Et ceci : « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Peut-on, avec moins de mots, plus fortement exprimer l’épouvantement et l’abandon de l’homme qui cherche Dieu dans « tout l’univers muet » et qui ne l’y trouve pas ? — Ailleurs enfin, ce sont les paroles ineffables du « Dieu d’amour et de consolation » qui pacifie et qui relève : « Console-toi, tu ne me chercherais pas, si tu ne m’avais trouvé… Je pensais à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi… Veux-tu qu’il me coûte toujours du sang de mon humanité sans que tu donnes des larmes… Je t’aime plus ardemment que tu n’as aimé tes souillures… » — Quelle poésie, quelle douceur et quelle tendresse ! Quelle âme que celle qui trouve de pareils accens ? Et