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grâce, voilà manifestement ce qu’a voulu faire Pascal, et ce qui a été pour lui, dans les dernières années de cette vie douloureuse, « l’œuvre uniquement nécessaire. »

Et c’est précisément ce qui nous le rend particulièrement cher. Il est devenu banal d’observer que le problème religieux préoccupe étrangement la pensée contemporaine. Autant, il y a vingt-cinq ou trente ans, ces questions intéressaient peu ceux qui se piquaient de penser, autant aujourd’hui elles sont redevenues actuelles et vivantes. Une philosophie aussi timide qu’elle était verbeuse, aussi superficielle qu’elle se croyait habile, l’éclectisme, — puisqu’il faut l’appeler par son nom, — avait cru supprimer le problème en accumulant les nuages et en multipliant les phrases. Elle démontrait l’existence de Dieu, — et quel Dieu ! celui de Voltaire et de Béranger, le « Dieu des bonnes gens, » pour tout dire, — dont elle limitait d’ailleurs prudemment la puissance ; elle prouvait l’immortalité de l’âme ; elle fondait une « religion naturelle ; » elle esquivait d’ailleurs la question de la révélation et celle de la transcendance du christianisme ; l’ombre de Platon et celle d’Aristote, celle de Descartes et celle de Bossuet étaient invoquées ensemble ou tour à tour, et l’on tenait pour des « sceptiques » tous ceux qui, dans le présent ou dans le passé, se montraient réfractaires à la foi nouvelle. Pendant près d’un demi-siècle, la langue dont on a pu dire qu’il y a une probité attachée à son génie abrita toutes ces équivoques. Quand on se réveilla de ce long sommeil philosophique, on s’aperçut que les questions religieuses, bien loin d’avoir été comme définitivement éconduites des préoccupations des hommes, reparaissaient plus graves et plus angoissantes que jamais. De tous côtés on se reprit à les étudier avec une singulière ardeur. Il n’est personne de nos jours qu’elles laissent indifférent. Les esprits les plus dégagés de toute attache confessionnelle, au lieu d’en nier l’importance, comme ils n’y eussent point manqué jadis, sont les premiers à donner l’exemple d’une étude sinon toujours impartiale, du moins toujours passionnée et toujours attentive ; et sous nos yeux, des hommes politiques, — on sait avec quel succès, — s’improvisent tous les jours théologiens ou canonistes. Faisant écho à ce mouvement général des esprits, on a même vu se produire en ces dernières années quelques-unes des évolutions morales les plus curieuses dont l’histoire des idées ait gardé le souvenir. On peut en sourire ou s’en plaindre : on