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que, sous la Restauration, l’Europe était pour la Grèce contre le Sultan, et qu’il y a neuf ans, malgré les massacres d’Arménie, l’Europe était d’opinion contraire. Ne serait-ce pas qu’elle a de l’argent en Turquie ?


III

N’est-ce pas aussi d’une question d’argent, d’une crise mémorable de Bourse, que sont issus, s’engendrant l’un l’autre, une suite de faits politiques et sociaux dans la France contemporaine ? N’y a-t-il pas un lien de cause à effet entre le krack de l’Union générale et le succès de l’antisémitisme, entre l’antisémitisme et l’affaire Dreyfus, entre l’affaire Dreyfus et la réaction antireligieuse, accompagnée du despotisme qu’une moitié des citoyens fait peser sur l’autre moitié, dans cette république soi-disant démocratique ?

La période 1871-1880 avait été une époque de hausse générale, par suite une période de gain. Le 3 pour 100 français se cotait beaucoup plus haut qu’à la fin de l’Empire et toutes les valeurs à l’avenant. Les profits rapides du public dans les bonnes affaires le poussent à en chercher de nouvelles ; des gens aventureux en inventent pour les lui offrir et il y perd naturellement de l’argent. Ces accidens économiques se sont produits maintes fois depuis cent ans et ils se produiront encore.

En Angleterre, on appelle ces entraînemens d’émission des « mania » et les compagnies ainsi créées des « bubble companies, » des compagnies éruptives. Il y eut, chez nos voisins d’outre-Manche, des sociétés excentriques dont nous n’avons pas eu l’équivalent ; il y en eut pour « assurer le risque d’infidélité des femmes dans le mariage ; » il y en eut une qui ne disait même pas pourquoi elle se fondait, son but devant rester secret et n’être révélé qu’un mois après la clôture de la souscription. À ce « mystère en actions » il se trouva pourtant mille actionnaires pour souscrire. Beaucoup des émissions de 1881-1882 ressemblaient fort à celle-là, sans toutefois l’avouer si ingénument. Il s’en fit, dans ces deux années, pour 11 milliards de francs ; non point versés en espèces, cela va sans dire, mais évalués au cours de la Bourse, avec la prime. Car beaucoup de titres de 500 francs se cotaient 1 000 francs dès avant leur naissance.