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valeurs sur lesquelles tout le monde se jette, commença à vendre à découvert au cours de 1 500 francs, en juillet 1881, ces actions émises à 500 francs trois ans avant, et sur lesquelles 125 francs seulement étaient versés. Mal lui en prit d’abord, puisqu’elles montèrent jusqu’à 3400 francs en janvier 1882. Quelques jours plus tard survenait l’effondrement, le « krack, » — mot nouveau dont s’enrichit la langue, — qui ruina nombre de familles et causa au pays un grave préjudice.

Au contraire de la légende accréditée, l’Union générale ne succombait pas sous les coups de la banque juive : on citerait des juifs marquans parmi les haussiers, tandis que le plus gros joueur enrichi par la baisse était un chrétien. Mais, quelle qu’ait été la folie de l’Union générale, le gouvernement de l’époque, cédant à des rancunes vulgaires, fit cruellement expier à Bontoux les fanfaronnades inoffensives de ses débuts, et la peur qu’un instant il avait eue de lui. Il n’usa pas à son égard des procédés du médecin, qui traite de son mieux le malade, même désespéré, dont l’intérêt national lui impose la charge, et ainsi qu’il fut fait, par d’autres ministres, en toutes catastrophes antérieures et postérieures à celle-là ; mais, comme un barbare qui voit son ennemi gisant à terre, loin de lui tendre la main pour prolonger sa vie ou adoucir sa mort, il mit avec ivresse le pied sur sa gorge et l’écrasa. Il fut semé ce jour-là beaucoup de haines ; elles ont levé depuis.

En 1882 commence la période contemporaine qui dure encore : celle des établissemens de crédit. La Bourse a connu dans ces vingt-trois années d’autres débâcles : celle du Comptoir d’Escompte et des cuivres, celle des Dépôts et Comptes courans, celles du Panama et des Mines d’or, pour ne citer que les plus notoires. Mais aucune de ces déceptions localisées n’a eu le caractère et les conséquences du krack. J’ai décrit ici même, il y a dix ans, la révolution accomplie par les établissemens de crédit dans la banque[1] ; elle n’a pas été moindre à la Bourse. Il s’est trouvé un génie financier, Henri Germain, doué des qualités qui manquaient à Bontoux, pour réaliser, au Crédit Lyonnais, ce que le fondateur de l’Union générale eût à peine entrevu dans ses rêves, et montrer que rien n’empêche un catholique de régir en maître le marché de l’argent. À cette condition pourtant de n’avoir

  1. Voyez, dans la Revue du 1er janvier 1893 : Les Établissemens de Crédit.