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infailliblement lorsqu’ils prétendent lutter contre le portefeuille.

L’effectif comparé de ces deux groupes en présence — acheteurs et vendeurs — est ce qu’on nomme la « position de place » que révèle chaque liquidation. Quand les reports s’élèvent sur l’ensemble des valeurs, c’est l’indice que la place est « chargée, » qu’il y a trop d’acheteurs à terme et que, par conséquent, les titres sont entre les mains des spéculateurs et non des capitalistes. En février 1904 les positions à reporter exigeaient 650 millions ; à la fin de l’année elles étaient descendues à 300 millions, chiffre normal et plutôt bas, que comporte une période très calme.

Dans les momens de grandes affaires il s’élève jusqu’au milliard. S’il le dépasse, l’argent se raréfie ; suivant un mot de boursier il est « à la cravache » et le danger est proche. En 1881, lorsque 100 000 actions de l’Union Générale, en report, exigeaient à elles seules, au cours de 3 000 francs, 300 millions, le capital ainsi prêté se fit payer jusqu’à 18 et 20 pour 100. Une situation aussi tendue provoque infailliblement les suspensions de paiement et les faillites. Les reporteurs prudens n’attendent pas de pareilles extrémités ; ils « dénoncent les reports, » c’est-à-dire qu’ils refusent de les continuer. L’acheteur, privé d’argent et forcé de se liquider, précipite alors la baisse par l’afflux de ses titres sur le marché.

On a reproché aux établissemens de crédit de s’être retirés brutalement, d’avoir, en argot de bourse, « secoué le poirier » — pour les mines d’or par exemple — sans souci des paniques qui en résulteraient et même avec l’intention d’en profiter. Accusation injuste, puisque le caractère de ces prêts est essentiellement temporaire et que les bailleurs de fonds ne peuvent se laisser conduire par les joueurs à une catastrophe. Personne au reste ne monopolise les reports. Le Crédit Lyonnais, qui emploie de la sorte des sommes importantes, tant sur les places étrangères qu’à Paris, ne fournit guère plus du sixième de l’ensemble des capitaux ainsi avancés. Au contraire, la solidarité légale des agens de change, récemment instituée, a cette conséquence indirecte que le client leur laisse une liberté absolue dans l’usage des capitaux, à eux confiés, pour être placés en reports.