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procureur de la République beaucoup plus que l’économiste ou le philosophe, ce sont les naufrageurs de la finance. Les indigènes de certaines côtes inhospitalières attiraient autrefois, la nuit, par de faux signaux sur les rochers les bateaux en détresse, pour les faire sombrer et piller leurs épaves. Ces sauvages ont des successeurs très civilisés. Ils s’embusquent à la quatrième page des journaux, ou s’établissent en des officines louches, aux environs des rues Vivienne, Montmartre et de Richelieu ; comme se groupaient jadis, autour des sanctuaires de pèlerinage, les marchands de fausses reliques et de « pardons » avariés.

Sous couleur de « Comptoir, » de « Crédit, » de « Banque » de ceci ou de cela, ils installent tranquillement une caverne de voleurs dans le quartier achalandé, à l’abri du fisc qui leur délivre patente et du sergent de ville qui protège la devanture. Ils font en apparence toutes opérations de bourse, en réalité ce ne sont que parodies ; elles se transforment ici en escroqueries pures. Pour écouler dans les départemens leurs titres fantaisistes, — charbonnages des Hautes-Pyrénées, plombs argentifères des Carpathes ou fers magnétiques de Styrie, — ils ont des commis voyageurs ; des officiers ministériels, titulaires de charges qui ne nourrissent pas leur homme, deviennent leurs placiers moyennant de bons salaires. Ces écumeurs d’or peuvent extraire ainsi une dizaine de millions par an à la petite épargne, et ce n’est qu’un des moindres domaines ouverts à leur activité.

Le principal, celui où les Mary-Reynaud, les Boulaine, les Berné-Maceau moissonnent les plus amples recettes, c’est le jeu de Bourse. Afin de racoler des dupes, ces bucket-shops, ainsi qu’on les appelle à Londres et à New-York, ont toutes un journal. Ce journal, dont l’abonnement coûte un ou deux francs, ne pourrait vivre ni de son humble chantage, qui opère par quittances de 10 francs présentées à domicile aux grands logis financiers, ni du produit de sa vente au numéro, puisqu’il se distribue gratis : ce journal appâte simplement les gogos. Aux uns, il promet 12 pour 100 d’intérêt de leur argent sans risque ; aux autres 40 à 50 pour 100 au moyen d’« opération sur la tendance ; » à ceux-ci, le triplement en un mois d’une mise de 500francs ; à ceux-là, cent mille francs de bénéfices à réaliser avec mille francs, par achats de primes.

Le boniment est si grossier qu’il faut, semble-t-il, une sottise presque invraisemblable, il faut la naïveté d’un enfant pour s’y