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et qui marquent la chute de son trône. Il se précipite à la fenêtre, les yeux tendus vers Rome qu’on lui arrache. Le cardinal secrétaire d’Etat Pacca l’y trouve, les yeux pleins de larmes. « Consammatum est, » dit le vieux moine en embrassant son ministre. Le jeune Pacca apporte à son oncle une des copies, répandues dans les rues, du décret de réunion : le cardinal la lit à haute voix, étranglé par l’émotion et l’indignation. Résolument, Pie VII s’approche de la table, signe une protestation en italien, à toute éventualité préparée. Devant le « papier latin, » la bulle d’excommunication majeure, le Pape hésite, âme timorée que ne comprend point Pacca ; celui-ci lui force la main ; Pie VII y met son sceau : c’est la mise au ban de l’Eglise des auteurs de l’attentat. « Que les pauvres gens qui vont l’afficher ne se fassent point prendre, dit le pontife, ils seraient fusillés : j’en serais inconsolable. » Ce n’était pas un Grégoire VII, ni un Jules II.

Dans la soirée, le décret impérial s’étale sur les murs sous l’aigle aux ailes déployées : la Consulte y affiche aussi sa proclamation, interminable, classique, aux formules cornéliennes, où les Scipion et les Caton et les César s’évoquent, où l’on accable sous les souvenirs glorieux cette Rome qui va connaître le règne d’un bien autre héros.

La vie semble avoir repris son cours normal. Les cafés sont animés, dans la douceur énervante d’une soirée d’été romain. Les officiers français se sentent plus chez eux : ils rêvent de soirées délicieuses chez des patriciennes accueillantes. Cependant, dans des sacristies sombres et fraîches, furtivement, des vieillards se glissent dont les capes noires cachent mal les lisérés rouges et violets ; ils se consultent, discutent, rappellent des précédens, se concertent avec des moines et décident de tenir tête au vainqueur. Et discrètement d’abord, puis plus hardis, protégés qu’ils sont par la complicité d’une foule complaisante, où déjà des lazzi s’échangent contre le « vainqueur » du jour, les afficheurs du Pape se multiplient : sur Saint-Pierre, sur le Latran, sur Sainte-Marie Majeure s’étale la protestation de Pie VIL Et déjà l’on peut prévoir l’opposition sourde, intraitable et multiple, qui se va mener, avec la complicité de Rome entière, par ces prêtres de tout rang contre le régime qui se croit vainqueur et dont ils triompheront.

Pour l’heure, Napoléon tient Rome et y est, enfin, souverain. Cet empereur latin a réalisé le rêve de sa vie.