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leur éloquence. En 1809, il restait à juger 8 567 affaires : en 1813, la Cour d’appel n’avait plus à prononcer que sur 189 procès et les neuf tribunaux du ressort réunis n’en comptaient pas plus de 1 000. Les meurtres, presque toujours impunis sous l’ancien régime, diminuèrent d’une façon d’autant plus appréciable que la police était détestable. Stendhal constatait en 1828 que l’idée qui avait subsisté dans le peuple romain sur le régime français était que, seul, il avait su à Rome rendre la justice. Si on se pénètre de la grandeur de ces deux mots : rendre la justice, il faut montrer de la reconnaissance à ceux qui avaient valu à notre pays cette particulière réputation, et nous ne pouvons nous étonner que, s’étant manifestée dès les premiers mois, une semblable disposition ait concilié aux Français bien des esprits que leur reprirent les fatales méprises de la politique et des événemens qu’aussi bien, nul ne pouvait conjurer.


Les sérieuses difficultés allaient en effet commencer avec la conscription militaire et surtout avec les exigences de Napoléon vis-à-vis du clergé romain. Lorsque, dans un cercle de Romains, des officiers français vantaient le régime qu’ils avaient fondé à Rome : « Nous vous avons apporté la liberté, disaient-ils, avec les principes de 1789. » Ce furent, par une coïncidence intéressante, les jeunes gens nés en 1789 qui allaient, à Rome, connaître un des bienfaits de la liberté française.

Le 20 avril 1810, le préfet faisait savoir aux Romains, nés en 1789, qu’ils eussent à se présenter devant les maires ou commissaires de police de leur commune. Ces jeunes gens, nés à l’aube de la liberté, apprenaient par la note de l’aimable Tournon « qu’ils allaient être appelés à l’honneur de servir dans les armées de Napoléon le Grand. » On se rappelle le Conscrit de 1813 d’Erckmann-Chatrian et ses terreurs : mais qu’est cet Alsacien, fils de soldat, habitué depuis longtemps à voir partir ses aînés, auprès de ce Romain qui, suivant les expressions mêmes du rapport officiel, « a été nourri dans un système en tout contraire au caractère militaire, » ce pâtre de la Sabine, ce commis du Corso ou ce beau fils noble dont, depuis des siècles, les parens n’ont point porté le mousquet, qui ont, plus que l’horreur, le mépris du métier militaire, pour lesquels gloire, victoire, devoir patriotique sont des mots vides de sens et qui, par surcroît, ne peuvent que détester cet Empire pour la défense