Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/680

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

facettes, en jeux de mots, en rimes, en allitérations, ou bien elle se traîne, monotone et interminable, comme une psalmodie. Dans les beaux endroits le rhéteur, se souvenant sans doute qu’il est prêtre d’Esculape, déploie un appareil vraiment pontifical. Semblable à une procession, la phrase lente se déroule, une et multiple en son ordonnance, harmonique en ses consonances, rythmée par ses désinences, chargée de vocables antiques, couronnée d’épithètes mystiques, solennisée de formules hiératiques, et, après de longs circuits, elle s’arrête enfin sur un verbe pompeux et largement étoffé comme le reposoir de pourpre où l’Adonis est couché !

Ces affectations puériles sont évidemment agaçantes. La déclamation qui perce, çà et là, trahit l’écolier prodige. Les couleurs du style sont criardes, les tons ne sont pas fondus, les tableaux se succèdent sans lien, les figures éclatantes sont comme emprisonnées dans des contours rigides. Mais pour peu qu’on s’y habitue, on finit par s’émerveiller de l’ingéniosité et de la richesse du travail, — de ce pailletage même, de ces scintillations continuelles. C’est l’éblouissement des immenses mosaïques qui revêtaient les pavés, les murs, les absides et les coupoles des palais et des villas de Carthage : — abrégé pictural de l’univers, où tout était représenté en figures, depuis la pêche et la chasse, les banquets, les travaux des champs, jusqu’aux légendes héroïques et divines, jusqu’aux symboles des Saisons, des Constellations et des Élémens…


Il y a, dans l’Ane d’or, une description de fête printanière dont je me souviens toujours, quand j’essaie de généraliser la signification de l’œuvre d’Apulée. C’est la consécration d’un navire à la déesse Isis, pour appeler les bénédictions de la Divine Mère sur les travaux des marins.

La carène du bâtiment est tout entière en bois de citronnier. Du haut en bas, elle est peinte d’hiéroglyphes, comme une boîte de momie. Les voiles blanches portent une inscription votive ; à la poupe resplendit un oiseau d’or, au col onduleux et aux ailes déployées. Le prêtre le purifie d’abord avec une torche enflammée, un jaune d’œuf et du soufre ; et, aussitôt le rite accompli, tous les assistans se précipitent vers le vaisseau. Ils y répandent des libations ; ils y déposent des coupes de lait, des gâteaux, du blé apporté dans des vans ; ils y jettent des aromates, des médailles,