Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/703

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

furent les bouddhistes d’origine russe qui servirent d’intermédiaire entre le dalaï-lama et le gouvernement du Tsar. En 1894, un lama kalmouck d’Astrakan, qui avait passé près d’une année à Lhassa, eut, à son retour en Europe par la Sibérie, un entretien avec le khamba-lama ou chef des lamas bouriates, et aussitôt celui-ci se rendit à Saint-Pétersbourg. L’année suivante, deux membres de la mission scientifique russe qui opérait dans le Turkestan oriental reçurent l’ordre de se détacher de la mission et arrivèrent, en 1897, à Lhassa, accompagnés d’une escorte commandée par Kozloff. A la même date, le khamba-lama des Bouriates, de retour de son voyage en Russie, expédiait à Lhassa un de ses compatriotes, Agouan Djorgieff, sujet russe, qui fut nommé, aussitôt après son arrivée, directeur des affaires civiles auprès du dalaï-lama, sut gagner la confiance de ce dernier, reçut ses confidences et se fit envoyer en ambassade auprès du Tsar, qui le reçut, le 30 septembre 1900, au palais de Livadia. Le retour de Djorgieff à Lhassa fut suivi du départ d’une seconde ambassade auprès du Tsar, qui arriva et fut reçue à Péterhof à la fin de 1902. Djorgieff était en même temps nommé « grand maître de l’artillerie » et trésorier du dalaï-lama. Profitant de son crédit, il attirait à Lhassa, et dans les localités les plus importantes du Thibet, plus de cinquante sujets russes, qu’il plaçait dans divers postes au service du dalaï-lama et dans les couvens thibétains. En même temps des bruits lancés par la presse chinoise et la presse anglaise d’Extrême-Orient annonçaient comme certaine la conclusion entre la Russie et le Thibet d’un traité secret, qui mettait en réalité le dalaï-lama sous la protection du Tsar.

L’existence de ce traité a été depuis démentie, mais les allées et venues entre Saint-Pétersbourg et Lhassa, l’arrivée et le maintien dans cette dernière ville de l’escorte de Kozloff, l’influence acquise par Djorgieff n’ont pas été sans éveiller l’attention du gouvernement des Indes, et ces divers faits ont revêtu à ses yeux une signification d’autant plus marquée qu’au même moment toutes les tentatives qu’il faisait pour assurer l’exécution de divers engagemens pris par les Thibétains se heurtaient, chez ces derniers, à une force d’inertie, à un mauvais vouloir absolu. C’est ainsi que le gouvernement de Lhassa se refusait obstinément, malgré les stipulations de la convention de Darjeeling, à nommer des délégués pour déterminer la frontière