Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/769

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieilles rancunes et de bonnes raisons, — s’empressaient d’en assumer la fonction. Retranchés dans l’étroit boyau de la rue Luizerne, défendus par une garde prête à toutes les violences, ils s’imposaient par l’intimidation au Comité de Salut public, et ne consentirent à déguerpir qu’à prix d’argent, lorsque plus tard l’ordre fut tant bien que mal rétabli.

C’est par ce Comité de Sûreté générale et par ses séides que furent commis dès la première heure les plus graves attentats contre la liberté individuelle, à la responsabilité desquels n’échappe pas d’ailleurs le Comité de Salut public, car ce comité maintint, quand il ne les ordonna pas, les arrestations arbitraires.

Le préfet Sencier, son secrétaire général de Lair, le procureur général Massin, M. Baudrier, président de chambre à la Cour d’appel, des membres de la Commission municipale, tous les commissaires de police, un grand nombre d’agens, des prêtres, des religieux, les Pères Jésuites, — ceux-ci arrêtés au moment où, par un trou percé dans un mur mitoyen, ils s’échappaient de leur couvent, — furent enfermés dans les cellules de la prison Saint-Joseph.

Quand les serviteurs de Dieu sont incarcérés, il est de tradition que le peuple mette en liberté Barrabas. Pour faire de la place aux nouveaux pensionnaires de Saint-Joseph, la bande de Timon leva l’écrou de cinquante malfaiteurs condamnés pour délits de droit commun, non sans leur avoir fait signer le bon billet d’un engagement pour la durée de la guerre !

Au moment de son arrestation, et comme il était emmené brutalement par les hommes de la rue Luizerne, le procureur général Massin rencontra l’avocat général Bérenger qui, tout bouleversé, s’en fut à l’Hôtel de Ville, trouva le Comité de Salut public en séance et lui fit entendre une courageuse protestation.

Le Comité apprenait par M. Bérenger l’arrestation du procureur général, à laquelle il était étranger. S’il n’osa pas ordonner la mise en liberté de ce magistrat, il écouta du moins, sans les interrompre, les reproches véhémens de l’avocat général, et ne s’en montra pas irrité.

Quand M. Bérenger fut sorti de la salle des délibérations, un garde national le prit par le bras et lui dit :

— Suivez-moi.

— Mais pourquoi ? Et où voulez-vous me mener ?