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monde jaune, une nouvelle doctrine de Monroë » : voilà la première leçon. Et voici la seconde : il existe des élémens d’opposition nationale chinoise pour résister, avec le concours des Européens, à l’hégémonie trop brutale du Japon.

L’un des prétextes de la guerre actuelle a été la crainte manifestée par les Japonais, les Anglais et les Américains de voir les Russes gêner par des droits de douanes le commerce étranger en Mandchourie ; cette crainte de voir la « porte fermée » si l’influence moscovite grandissait encore en Chine affolait la mercantile Angleterre : « Le Japon combat en Asie pour l’idéal anglo-saxon contre le despotisme militaire, » écrivait le Times ; et les négocians anglais applaudissaient aux premiers succès des flottes et des armées du Mikado ; leur enthousiasme est aujourd’hui moins bruyant ; ils se rendent compte que le triomphe du Japon aura fatalement pour conséquence de les évincer d’Extrême-Orient. Les Japonais n’auront pas besoin pour cela d’établir des droits de douanes ni de « fermer la porte ; » il leur suffira, grâce à leur ascendant politique et à leur prestige militaire, de supplanter partout les Européens, d’achever la « japonisation » de la Chine en dirigeant sa transformation militaire, économique et sociale. L’affaire des marques de fabrique, dans laquelle les Européens n’ont pu obtenir gain de cause contre l’impudente contrefaçon japonaise, révèle les moyens par lesquels on viendra à bout de ruiner le négoce européen en Chine ; c’est à l’influence des Japonais sur Na-tung, qui a favorisé l’introduction de deux conseillers nippons au ministère du Commerce, qu’il faut attribuer la solution qui lèse les intérêts des négocians européens au profit des falsificateurs japonais. Dans tout le bassin du Yang-tse, notamment à Nankin, beaucoup d’articles japonais l’emportent sur leurs similaires européens ; pour les lampes, les allumettes, les parapluies, les vins, les savons, les bougies, les boutons, le petit marchand japonais fournit, à des prix dérisoires contre lesquels les Européens ne peuvent pas lutter, la camelote que désire le client ; l’apparence est belle, la qualité déplorable, le prix infime, et le Chinois est satisfait ; le mandarin, s’il veut traiter quelque hôte étranger de distinction, a du Champagne japonais à un dollar la bouteille. L’action des Japonais ou des japonisans s’exerce directement pour empêcher les Européens ou les Américains d’obtenir de nouvelles concessions : le mot d’ordre est de ne plus rien accorder, ni chemins de fer,