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moment où la dynastie fugitive se cachait à Si-ngan-fou et paraissait irrémédiablement déchue, une ou deux puissances européennes lui auraient promis leur appui au cas où le trône serait déclaré vacant. Les circonstances ne permirent pas alors de réaliser les vœux de l’ambitieux vice-roi ; mais s’il était vrai qu’il eût aujourd’hui pour lui le Japon, un pareil appui, joint à celui qu’il trouverait dans son armée commandée par des Japonais, lui donnerait les plus sérieuses chances de succès.

L’Impératrice a conscience du péril ; elle hâte l’instruction à l’européenne de ses « bannières » mandchoues qui, depuis 1900, ont cédé aux troupes de Yuan la garde du palais impérial ; mais elle croit pouvoir compter, jusqu’à sa mort, sur un règne paisible ; d’ailleurs, elle a besoin de Yuan ; elle ne peut se passer de ses troupes pour continuer la politique de bascule qu’elle a toujours pratiquée entre les princes mandchoux et le vice-roi du Tche-li appuyé sur une armée ; c’est sa politique traditionnelle, et il n’est pas facile, à son âge et dans les circonstances actuelles, d’en imaginer une autre. Le vice-roi, laissé à ses seules forces, ne serait pas à craindre ; il suffirait à l’Impératrice de le révoquer pour lui enlever toute autorité ; mais il tire sa puissance des Japonais ses protecteurs. Avec les Européens, on était sûr de s’en tirer avec de la patience et quelques satisfactions de forme ; mais avec les voisins nippons, le jeu change ; il faut compter avec leurs multiples moyens d’influence occulte et avec l’ambition audacieuse que leur donnent leurs victoires ; la vieille Impératrice est déroutée : elle en vient à se contenter de piloter vaille que vaille l’antique machine pour qu’elle dure seulement autant que sa vie.

Ces perspectives de révolutions prochaines restent plus ou moins incertaines ; mais les progrès énormes de l’influence japonaise dans l’Empire du Milieu ressortent d’une infinité de faits indiscutables et, dès maintenant, on peut juger des conséquences qui en résulteront pour les Européens. L’illusion de ceux qui, comme les Anglais, ont cru que les Japonais domineraient la Chine pour l’ouvrir au commerce de tous les peuples, doit se dissiper en présence des réalités. A l’étroit dans leur archipel, les Japonais sont persuadés que leur génie trouvera dans les plantureuses campagnes de la Chine un inépuisable champ d’activité et qu’à eux est réservée la gloire et le profit de mettre en valeur les immenses ressources endormies dans l’Empire du Milieu ; ils ont l’énergie créatrice, l’intelligence active ; ils les appliqueront