Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/830

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un empereur de son choix. Le rôle de l’Europe dans ces circonstances est tout indiqué : si l’indépendance de la Chine venait à être menacée, sous quelque forme que ce fût, ou si la liberté commerciale était restreinte par l’influence trop prépondérante du Japon, c’est auprès des Chinois eux-mêmes que les nations occidentales trouveraient un recours. Notre politique, à nous Européens, doit donc être dès maintenant non pas d’entraver l’irrésistible mouvement de réformes qui renouvelle la vieille Chine, mais au contraire d’aider, dans la mesure de nos moyens, une évolution si nécessaire et de lui prêter l’aide dont elle a besoin pour rester nationale. Longtemps paralysée par ses souverains mandchoux, la Chine reprend goût au mouvement, elle rentre dans la vie générale du monde civilisé : c’est là sans doute l’événement capital du commencement de ce siècle. Mais si les Japonais ont pu penser que l’éveil d’un sentiment national dans l’Empire du Milieu servirait leurs intérêts au détriment des seuls Européens ou Américains, ils s’apercevront peut-être bientôt que leurs leçons ont été trop bien comprises, si du moins l’on en juge par cet hymne que l’on fait chanter, depuis quelques mois, aux enfans des écoles primaires, dans le Kiang-sou[1] :

« Je prie pour que mon pays devienne ferme (en ses frontières) comme le métal ; qu’il surpasse l’Europe et l’Amérique ; qu’il subjugue le Japon ; que ses armées de terre et de mer se couvrent d’une gloire éclatante ; que sur toute la terre flotte le radieux étendard du Dragon ; que prochainement l’universelle maîtrise de l’Empire s’étende et progresse. Ne disons pas que sa vénérable grandeur a été en vain affligée ; l’Inde est éteinte comme puissance ; l’Empire de Perse est fini[2]. Faites que notre Empire, comme un lion endormi qui soudain s’éveille, se précipite en rugissant dans l’arène des combats. »


RENE PINON.

  1. Cet hymne est extrait des nouveaux livres de leçons pour les écoles primaires de la ville d’Ou-si (province du Kiang-sou) ; ces livres sont imités des ouvrages japonais, ainsi qu’il est dit dans la préface des sept volumes du cours primaire ; ils sont datés de la trentième année de Kouang-Siu. La prière s’adresse soit au Ciel, soit aux génies de l’Empire ; elle a été traduite et elle nous a été communiquée par M. Fernand Farjenel.
  2. La phrase est très elliptique : elle veut dire que la leçon des malheurs subis par la Chine du fait des étrangers ne sera pas perdue, et elle cite l’exemple de l’Inde et de la Perse qui ont perdu toute leur antique puissance.