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mais elle ne vous connaît pas, elle ferait quelque erreur, elle parlerait peut-être. J’y renonce. Rien n’est mieux que la poste restante, et peut-être votre femme de chambre consentirait-elle à aller les y prendre, mais je n’écrirai que quand vous m’aurez mandé vous-même ce qui en sera, et sous quel nom vous voulez que je vous les adresse. — Je suis très décidé aussi à parler à Mme de la Pierre. Je comptais le faire aujourd’hui ou demain, mais vous savez leur malheureuse nouvelle, elle serait peut-être encore trop absorbée, cependant je verrai demain. Je passerai la soirée de demain soir auprès de vous, mais si j’ai quelque chose à vous remettre, je le ferai par M. P… On nous observerait trop. Voici quelques détails sur mes propres circonstances. Je veux aussi que vous les sachiez toutes. Ma famille est une famille de gentilshommes, elle est riche pour ces temps-ci et pour nos pays. La fortune n’est pas toute à mon père, elle est entre les mains d’oncles et de tantes, non mariés et âgés[1], qui doivent nous la laisser après eux, et qui n’en assurent qu’une partie dans nos contrats de mariage ; j’aurai un jour six ou huit cent mille francs. En mariage ils ne m’en assurent qu’à peu près trois, et ne me donneront vraisemblablement que très peu de chose en jouissance tout de suite. Mais ces premières années, et cette gêne momentanée ne n’importent guère à moi, si vous n’en souffrez pas, si nos goûts et notre amour nous rendent heureux de notre médiocrité présente, à la campagne ici ou en Angleterre. L’avenir ne m’alarme pas, puisqu’il est certainement beau pour moi. Mes parens cependant par leur âge et leur nombre et leur caractère sont difficiles à réunir dans un sentiment commun pour une démarche comme celle que je vais leur demander, mais j’espère les y décider avec plus ou moins de temps.

Enfin confions-nous à notre amour, au temps, à la Providence qui ne nous a pas réunis en vain. Je sens que nous serons l’un à l’autre, parce que je ne trouverais en aucune autre, tout ce que j’aime en vous. Adieu, adieu. Celui qui est à vous pour jamais.


Dans ces deux lettres où Lamartine, comme il le devait, fait allusion à son amour pour Elvire, on aura noté qu’il ne le donne aucunement pour avoir été un amour d’une essence spéciale et tel qu’une épouse n’eût pas à en concevoir de jalousie rétrospective. Ce qu’il reproche à son ennemie, la perfide Clémentine, ce n’est pas d’avoir évoqué le souvenir de sa liaison avec Mme Charles, mais c’est de lui avoir prêté d’autres liaisons du même genre. Et si lui-même rappelle cet amour, c’est comme exemple de la façon dont il sait aimer. Auprès de qui pourtant, plus qu’auprès d’une fiancée, qui n’était plus une petite fille,

  1. Le contrat de mariage de Lamartine mentionne : François-Louis de la Martine, ancien chevau-léger de la garde du Roi, demoiselle Marie-Anne-Charlotte Eugénie de la Martine et dame Marie-Suzanne de la Martine chanoinesse, comtesse du chapitre de Sales, — c’étaient le frère aîné et les deux sœurs du chevalier de Lamartine, Mlle de Lamartine, et Mme du Vilars, — et Jean-Baptiste-François de Lamartine, propriétaire ; — c’était l’abbé, qui laissa ses biens à Lamartine.