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tuer toutes nos charités de France. Sans blâmer une certaine audace dans la confiance, un donateur chez nous, pays d’épargne, veut qu’on reste prudent, tout au moins raisonnable. Et puis, les fortunes sont médiocres, les enfans comptent sur le partage intégral, peu de gros legs sont faits aux œuvres, et les difficultés de la loi s’y opposent au surplus. En Angleterre, pas de testament sans une part aux hôpitaux, c’est entré dans l’usage. Tandis que là-bas, les œuvres sont exonérées de certaines charges, en France, l’État les accable, et la charité privée laïque se voit taxée désormais de droits de mainmorte, pour peu qu’elle ait eu des raisons de solliciter des pouvoirs publics une reconnaissance officielle.

Là-bas surtout, le « pride » national est porté à bien soigner ses pauvres. Ce n’est pas déshonorant, depuis miss Nightingale, de gagner sa vie en sauvant la leur. Les nurses sont des « ladies, » des femmes du monde. Nous aurions mauvaise grâce à leur reprocher d’introduire avec elles certaines exigences. Peut-être cela est-il de race, et la dignité même de la race y est-elle attachée…


Il est plus de midi. Nous avons regagné le « nurses’ home. » Je dois être à la gare dans vingt minutes. Mais sœur Catherine ne veut pas me laisser partir sans un semblant de lunch : vite, on m’apporte une tasse de thé et des sandwiches — au poisson. — Je ne puis me retenir de demander : « — Est-ce une coïncidence, ce menu maigre, un vendredi ? — Non, on observe ici l’abstinence. Nous avons beaucoup d’élèves « high-church » qui se refuseraient à manger de la viande, les vendredis. Alors, toutes font maigre, c’est très sain. — N’avez-vous que des infirmières protestantes ? — Oh ! que non ! toutes les confessions sont admises. En ce moment nous avons deux juives et plusieurs catholiques romaines. » Oh ! la louable tolérance… pourquoi ne l’ai-je pas rencontrée dans les grands hôpitaux ?

Et j’ai quitté Plaistow, remportant de cette dernière matinée un mélange de tristesse et d’infinie douceur : une fois de plus j’avais vu l’éternelle charité penchée sur la souffrance humaine