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abandonnés ? Voilà votre faute ! Est-ce dans les Revues pacifistes ou socialistes que j’ai publié mes premiers appels ? Non, c’est dans la Revue des Deux Mondes ; tant pis pour ceux qui n’ont pas voulu m’entendre ; je sais gré aux autres pour l’appui généreux et ferme qu’ils m’ont prêté ; j’admire d’ailleurs profondément Frédéric Passy, comme aussi Charles Richet, Louis Havet, sir Thomas Barclay et beaucoup d’autres encore que vous auriez pu nommer, parmi les Pacifistes ; ils ont rendu de grands services, et la postérité les dédommagera de vos attaques. Quant aux socialistes, rien ne m’empêchera de protester contre l’ingratitude d’une fraction du parti républicain à leur égard ; nul n’a servi plus efficacement que leurs chefs, dans ces dernières années, la cause de la justice, de l’ordre et de la paix ; sans leur concours, aucune des manifestations internationales dont les gouvernemens et notre commerce ont si largement profité n’eût été possible.

Et si vous ajoutez enfin que mes opinions seront et sont inévitablement dépassées, je vous répondrai que c’est un mal ou que c’est un bien, selon les circonstances, mais que c’est la loi même du progrès ; si vous n’admettez pas cette loi, vous faites le procès de la science, ce qui vous est arrivé déjà… Excommunierez-vous les chimistes, sous prétexte que les découvertes dont ils enrichissent l’univers peuvent être mal appliquées, fournir des poisons aux malfaiteurs ou des bombes à l’anarchie ?


Laissons maintenant notre programme ; passons à nos actes. Ici vous avez beau jeu en me provoquant : si je me tais, vous triomphez de mon silence ; si je réplique, je fais l’apologie de mon œuvre…

Vous estimez que mes amis et moi nous ne sommes pour rien dans l’amélioration de nos relations internationales ; c’est votre droit ; tel a été pendant longtemps, je le reconnais, le sentiment du ministère des Affaires étrangères lui-même. Notre œuvre en effet ne saute pas aux yeux ; elle a été assez ingrate, très ingrate, mais elle n’en existe pas moins, elle n’en est que plus méritoire ; elle se résume en peu de mots : nous avons changé l’atmosphère de notre politique extérieure.

Un jardinier, avec la meilleure volonté du monde, n’arrive pas à cultiver les plantes dont il a besoin dans une serre trop froide ou trop chaude ; nous avons donné à ce jardinier ce qui lui manquait : une température favorable.

Oui, c’est un changement considérable de température que nous avons contribué à déterminer, et je précise.