Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourrons-nous bientôt demeurer dans le voisinage de ton frère ? Mais, avant tout, il faut que je sois docteur ! »

Les deux fiancés ne se doutaient pas de la longue et pénible voie par où la « destinée, » dès ce moment, s’apprêtait à les « mener. » Le 25 août 1821, Eckermann avait envoyé à Gœthe, en respectueux hommage, un petit recueil de poèmes qu’il venait de faire imprimer. Le 2 octobre suivant, le vieux poète lui avait répondu en quelques lignes, mais remplies de ces éloges, banals et sans réserve, qu’il prodiguait maintenant à ses jeunes confrères. Et cette réponse du maître avait littéralement affolé d’orgueil l’étudiant en droit. « La lettre de Gœthe, écrivait-il, le 29 octobre, continue à me maintenir dans une joie sereine. La certitude que Gœthe est d’accord avec moi me donne un calme et une assurance infinies. » Et, au début de sa lettre suivante, le 8 décembre, il s’écriait : « Il faut absolument que je fasse du bruit ! Il faut que, cet hiver, je produise deux choses, afin que me viennent l’argent et la gloire : d’abord, ma tragédie, et puis mon livre sur la poésie, considérée surtout par rapport à Gœthe ! »

Encore la « tragédie » n’allait-elle point tarder à être laissée de côté. Le philosophe Schubart avait publié, vers le même temps, un écrit intitulé De l’appréciation de Gœthe, que, naturellement, Eckermann s’était empressé de lire. « Schubart, écrivait-il à sa fiancée, s’est acquis une renommée considérable par ce livre, et par sa connaissance avec Gœthe, que son livre lui a value. Les journaux annoncent même qu’il est déjà placé. » Et ainsi était venue à notre étudiant l’idée d’écrire, à son tour, un livre sur Gœthe, qui lui « vaudrait la connaissance » du poète, et qui l’aiderait à « se placer » bientôt. « Il y a dans le livre de Schubart plusieurs des choses que j’aurais voulu dire ; mais il y a d’autres choses, aussi, que je n’admets point, et qui ne sont pas tout à fait raisonnables, des choses que Gœthe lui-même ne doit pas approuver. C’est ce livre que j’aurai principalement en vue, pour en réfuter les erreurs. Mais je veux d’abord savoir si mon projet te plaît. Je suis convaincu, du reste, qu’il te plaira, car il a pour objet notre bonheur commun. »

Le projet plut, en effet, à Jeanne Bertram, sauf ensuite pour la pauvre fille à s’en repentir bien amèrement. Interrompant ses études, Eckermann employa une année à écrire son livre ; puis, dès qu’il l’eut achevé, il l’envoya à Gœthe, qui, cette fois, touché d’un tel hommage, invita le jeune homme à venir le voir. « La lettre de Gœthe nous a causé à tous une grande et profonde joie ! écrit Jeanne Bertram, le 3 septembre 1823. Le poète y montre clairement le cas qu’il fait de