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sait ce que les Américains ont réalisé de tours de force sur les Grands-Lacs pour substituer au travail de dockers à 3 ou 4 dollars par jour l’action des puissans mécanismes, qui mettent en quatre heures soixante-douze mille tonnes de charbon ou de minerais à bord d’un navire. Il s’agissait pourtant d’une industrie non seulement protégée, mais réservée, dans laquelle aucune concurrence étrangère n’était possible.

Aujourd’hui, les États-Unis cherchent le moyen d’ouvrir à leurs nationaux un mode d’activité que les circonstances économiques actuelles leur interdisent. L’artifice auquel ils ont recours semble propre à atteindre ce but, et le vote du projet de loi provoquerait un essor de l’armement américain. Une fois les capitaux engagés dans cette voie nouvelle, une fois la hardiesse américaine appliquée à résoudre ce nouveau problème, les résultats ne se feront pas longtemps attendre. Nous avons sous les yeux l’exemple tout récent d’une nation qui a créé par sa volonté et son labeur persévérans une marine marchande qu’elle n’avait jamais possédée. L’Allemagne, cependant, était loin d’offrir pour une semblable entreprise, les mêmes avantages que les États-Unis. Ceux-ci ont eu jadis, il y a un demi-siècle, la seconde marine marchande du monde. Ils n’ont pas dégénéré depuis lors : les ressources de leur territoire se sont multipliées d’une façon qui tient du prodige, et leur volonté ferme de revenir à la navigation de concurrence se manifeste d’une façon claire. L’aide de l’État fédéral ne peut manquer, dans ces conditions, d’être efficace, et nous avons vu que l’État est disposé à l’accorder largement.

Voilà de quoi donner à réfléchir aux armateurs européens. Une concurrence nouvelle, particulièrement redoutable, va bientôt se dresser devant eux. Une marine marchande puissante, au service d’un pays immense, pourvu d’un littoral magnifique, baigné par les deux océans, déjà riche, mais plus riche encore d’entrain, de vigueur, de ressources non utilisées, que de richesse acquise, est à la veille de se créer. Les vieilles nations maritimes ont besoin de redoubler d’efforts pour ne pas succomber dans la lutte qui se prépare.


PAUL DE ROUSIERS.