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yvre, etc. Il serait oiseux de relever tous les vocables que sa plume insoucieuse et rapide a défigurés. J’avais songé à conserver du moins son orthographe pour les terminaisons ant, ent, end, dont il supprime, comme il était alors d’usage, les t et les a au pluriel. Mais j’eusse été entraîné, logiquement, à imprimer pers pour perds, détens pour détends… L’emploi qu’il fait de la majuscule est aussi des plus capricieux. Il n’en met jamais à la première lettre du vers, et, par contre, il écrit toujours avec un grand T les mots qui commencent par cette lettre. Aux noms propres, aux Dieux, Naïades, Dryades, Faunes, Satyres et Sylvains, il prodigue ou retire la majuscule. J’ai cru devoir la conserver aux Dieux, Naïades, Dryades, hormis les cas où ces termes sont employés symboliquement, lorsque naïade signifie l’eau, ou dryades, les bois.

Devant tant d’irrégularités contradictoires et vu le peu d’importance qu’a l’orthographe dans l’œuvre manuscrite d’un grand écrivain, j’ai résolu d’unifier celle d’André Chénier et de rétablir à ses vers la majuscule initiale, ainsi qu’il l’a fait lui-même pour les deux poèmes publiés de son vivant, le Jeu de Paume et l’Hymne sur l’entrée triomphale des Suisses révoltés de Châteauvieux, qui est, sans conteste, le premier des ïambes qu’il ait écrit.


La ponctuation n’est pas régie par des règles fixes. Au XVIe et au XVIIe siècle, on ne ponctuait guère. Chaque écrivain a sa ponctuation particulière. Bien qu’elle soit souvent nécessaire à la clarté de la phrase, son importance dans la prose est moindre qu’en poésie. Le poète se sert de ces signes pour indiquer la façon dont il entend que ses vers soient scandés, le mouvement plus rapide ou plus lent, les pauses, le prolongement, les arrêts de la diction.

Il semble que les éditeurs se soient fait un jeu d’altérer la ponctuation d’André Chénier. Je n’en citerai qu’un exemple. Dans la Jeune Tarentine, on peut compter, sans parler des vices du texte, vingt-sept fautes pour trente vers. Cette manie absurde a eu les plus fâcheux effets, non-sens, contresens, inversions ridicules. Et j’ai retrouvé plus d’une intention délicate, plus d’une élégance de style, plus d’une hardiesse de langue ou de coupe, qu’une virgule, substituée à un point ou mal placée, avait faussées ou dénaturées.