Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon nom. Il est vrai que je les ai forcés à se rétracter publiquement.

Croiriez-vous qu’on ait refusé, dans les termes les plus rudes, à la nonciature, de faire passer à Rome une lettre écrite au Pape par le clergé de Beauvais pour supplier le Saint-Père de ne pas livrer ce malheureux diocèse à une espèce de demi-schismatique[1], sans parler du reste ? Celui qu’on vient de nommer évêque de Dijon[2]est pire encore. On ne lui reproche guère que sa foi et ses mœurs. Le peuple d’Aix, où il est vicaire général, dit hautement : « Il ne sera pas sacré, car il est exécrable. » Voilà où en est notre pauvre France, et personne ne prend pitié d’elle. Oh ! qu’on ne se flatte pas que je cesse de combattre, tant qu’il me restera un souffle de vie.

Je vous embrasse mon cher et respectable ami, bien tendrement.


Paris, 18 novembre 1831.

Je reçois, mon cher et respectable ami, votre lettre du 9 de ce mois. Je savais déjà, par une lettre que m’a écrite M. Frézier, que vous aviez éprouvé une grave maladie, mais que, grâce à Dieu, vous étiez en convalescence. Puissiez-vous retrouver bientôt et conserver longtemps toutes vos forces, dont vous faites un si digne usage ! Je vous remercie du parti que vous avez pris par rapport à ma lettre à Mgr Lambruschini. Je reconnais que c’est le mieux, bien que ma lettre ne contienne pas un mot qui ne soit de la plus exacte vérité. Mais la vérité est précisément ce qui choque le plus au monde. Vous aurez vu dans l’Avenir[3]aussi la résolution que nous avons prise. Je partirai le 21 avec Lacordaire, et Montalembert nous rejoindra à Nice. Je m’attends à ce que ce voyage soit long, mais j’aurai de la patience. Les événemens seront la meilleure et la plus forte justification de notre conduite : c’est ce qui m’est arrivé toujours. En France, on n’a des yeux que derrière la tête. Quant aux doctrines, j’ai cru et je crois encore n’avoir soutenu que celles du Saint-Siège. Si je me suis trompé, il me le dira et je crierai sur les toits sa sentence. Nous nous tairons en

  1. Il s’agit de l’abbé Guillon, professeur à la Sorbonne.
  2. L’abbé Rey dont il a été question précédemment.
  3. Pèlerins de Dieu et de la liberté, Lamennais se rendait à Rome avec ses deux principaux collaborateurs. C’est ce qu’il appelait « consulter le Seigneur à Silo. » (Dernier numéro de l’Avenir, 15 novembre 1831.