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en a été accrue au lieu d’en être calmée. Ce retard n’indiquait-il pas de l’hésitation, compliquée peut-être de l’arrière-pensée de reprendre ce qu’on s’était, au total, contenté de faire espérer ? La marche du gouvernement en Russie n’est pas moins lente, ni moins irrégulière, que celle de la révolution ; mais la révolution va toujours de l’avant, même lorsqu’elle semble immobile ; tandis que, lorsque le gouvernement reste immobile à son tour, on craint naturellement qu’il ne revienne en arrière. Le gouvernement ne comprend pas assez que, dans un temps de révolution, il faut sans cesse occuper les esprits de quelque chose et les tenir en haleine pour les diriger ; faute de quoi, ils s’égarent ou on les égare, et, tout d’un coup, ils grondent et éclatent. Alors on se trouve dans la redoutable alternative de céder ou de réprimer. Réprimer ne sert à rien, c’est toujours à recommencer. Il en est de même de céder, c’est-à-dire de donner trop tard, sous la menace de l’émeute. Encore s’il ne s’agissait que d’une émeute ! On ne sait que trop en venir à bout en Russie. Mais on y est beaucoup plus novice en révolution. Les procédés d’autrefois seraient ici insuffisans : leur effet ne s’étendrait qu’à un petit nombre de jours.

Pour parer à la difficulté du moment, l’empereur a eu ou aura recours, dit-on, à M. le comte Witte, qui était hier président du comité et qui serait demain président du conseil des ministres. Le comité n’était rien ; le conseil peut être beaucoup. Pourquoi n’a-t-on pas fait sortir plus rapidement cette institution des limbes confus où elle s’élaborait ? Il est fâcheux de penser qu’il aura fallu la grève générale pour en déterminer l’éclosion. Quant au choix de M. Witte, il mérite d’être approuvé si on le fait définitivement : mais le fera-t-on ? Les nouvelles se suivent, ne se confirment pas, quelquefois se démentent. Nous ne raisonnons que sur des hypothèses. Quoi qu’il en soit, et quelque opinion que l’on ait sur M. Witte, on ne saurait contester l’importance de ses services récens, ni la perspicacité dont il a autrefois donné des preuves. Il a le coup d’œil clair et la décision prompte. Les événemens qui ont été si cruels pour son pays ont servi sa réputation : il est donc tout indiqué dans les circonstances actuelles pour assumer les responsabilités du pouvoir. Et cependant il n’est ni agréable à son souverain, ni populaire dans le pays : c’est l’opinion qu’on a de sa supériorité qui seule l’impose. Depuis qu’il est rentré en Russie, après avoir traversé la France, où il a été accueilli avec une juste considération et l’Allemagne, où on l’a reçu avec un étalage de triomphe, tous les regards se sont tournés vers lui. Il ne pouvait donc pas échapper aux yeux de l’empereur. Il n’a même