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ressemblent assez à ce que nous sommes, nous autres, pèlerins, indéfiniment métissés. Vous n’avez pas raisonné, vous vous êtes scandalisés ; il vous a paru intolérable que des reliques barbares souillassent le parvis d’Athéna. Mais où est-elle, Athéna ? Cette déesse, s’est-elle réfugiée dans vos âmes ? Elle fut un instant du divin dans le monde. Eh bien ! pour nous, aujourd’hui, le divin gît dans un sentiment très fort et très clair de l’évolution et de l’écoulement des choses. Nous protestons contre des iconoclastes qui gâtent les plus nobles démonstrations du temps. Le principe du développement des sociétés et des vérités, voilà ce que nous mettrait sous les yeux, avec un pittoresque inexprimable, le temple de Pallas, compliqué d’une chapelle byzantine, d’un donjon féodal, d’un mirab musulman et d’un musée archéologique. La vue nette de ces constructions successives, l’apparente incohérence de tant d’efforts qui eurent chacun leur idéal et qu’un grand cœur sentirait dans leur unité, voilà une magnifique leçon de relativisme. Elle met dans mon esprit de l’ordre, et me moralise mieux que ne peut faire l’incertaine Athéna. Elle me communique un apaisement religieux quand vos effusions d’helléniste me tiennent en défiance.

Le pensionnaire. — Nous n’avons jamais eu l’idée, que je sache, de restaurer le culte d’Athéna.

Le voyageur. — Alors, je ne vois plus à quoi vous pouvez servir. Si vous rebâtissez le temple, il faut de toute nécessité que vous tâchiez d’y faire rentrer le dieu. La pensée de Phidias, la pensée de Périclès sont inintelligibles si je ne me représente pas la conception morale qu’ils voulaient abriter, glorifier dans le Parthénon. Ils concevaient sans doute une religion municipale, un ardent nationalisme. Tant bien que mal et au risque de faire mille confusions, je puis l’admirer du dehors ; je ne puis pas y participer. En revanche, quand je suis sur l’Acropole, je me trouve, tout naturellement, rempli d’émotions qui tiendraient dans le Parthénon composite et pour lesquelles la ruine de Périclès est trop étroite. Par exemple, je me rappelle la petite ville de Brienne où je passe si souvent et d’où sortirent des seigneurs qui régnèrent ici. Je me rappelle le général Fabvier. Dans le chaos de 1823, c’est peut-être ce Lorrain qui a sauvé la Grèce. Il n’y avait plus que l’Acropole d’Athènes qui résistât aux Turcs. Mais les munitions commençaient d’y manquer. Une nuit, Fabvier avec huit cents hommes débarque sur la plage de Phalère,