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puissance que dans l’argent travailleur. L’autre n’a que le pouvoir d’un roi fainéant ; pouvoir éphémère, tout d’apparat, guetté par les révolutions qui balayent vite les rois ignorans de leur métier et oublieux de leurs devoirs.

Je quitte à regret la ville des jolies fleurs et des grands efforts. J’ai beaucoup appris à Brême ; j’y ai reçu des leçons de choses, j’y ai vu un homme. En disant adieu à la vaillante petite Weser, je songe aux larges estuaires de nos beaux fleuves, Loire et Gironde. L’indulgente nature en a fait les débouchés privilégiés de l’Europe sur l’Atlantique, les sentinelles avancées qui devraient accaparer les arrivages du Nouveau Monde. — Tant d’activité récompensée chez les riverains de ces côtes lointaines, que la nature traita en marâtre ! Tant de langueur chez les enfans gâtés d’un sol qu’elle a comblé ! Pourquoi ? Et sur qui ces derniers règlent-ils leur pas timide ?…

Hambourg.

Landes, pinèdes, tourbières, une terre sombre et revêche, à peine habitée entre Brême et Hambourg. Il semble que toute la vie de cette terre ait reflué vers l’Elbe et la mer, vers le foyer dévorant où elle se consume sous un ciel [subitement incendié par les nappes des feux électriques. On pénètre dans la zone lumineuse, et des chiffres effarans étourdissent l’imagination, ils s’inscrivent dans l’espace, ils expliquent l’étendue de cette zone. Chiffres plus éloquens ici que tous les commentaires.

En 1903, d’après la Statistique officielle de l’Empire allemand, 17 928 000 tonneaux, entrées et sorties réunies, avaient passé dans le port de Hambourg : c’est plus que la moitié du mouvement total des ports français, qui s’élevait en 1903, pour l’Océan et la Méditerranée, à 33 608 000 tonneaux ; et presque le mouvement total de nos ports océaniques, 21 millions environ. Ce chiffre de tonnage représentait un mouvement de marchandises d’une valeur de 10 milliards ; mouvement supérieur à celui du port de Londres, à peine inférieur au commerce total de la France avec l’extérieur, qui s’élevait pour 1903 à 11 657 millions. Si l’on étudie la progression de ce grand trafic, on voit que Hambourg était un port du deuxième ordre avant 1870. De 1871 à 1880, il monte au premier rang avec une moyenne annuelle de 1 800 millions de francs ; en 1896, ce chiffre est