Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on n’aperçoit pas les panaches des hautes cheminées fumantes sur le plateau de la Croix-Rousse, celles-ci peuplent les campagnes des départemens circonvoisins, où notre industrie, remontant en quelque sorte à ses origines pastorales, avait déjà associé la culture des champs au tissage de la soie[1]. » Du quartier de Saint-Just et des rives de la Saône, où elle s’était formée et comme ramassée du XVe au XVIIIe siècle, de la Croix-Rousse, de Vaise, de la Guillotière, des Brotteaux, où elle avait grandi au XIXe siècle, cette glorieuse et féconde industrie a essaimé, par Tarare, l’Arbresle, Saint-Genis-Laval, Neuville, Limonest, Saint-Laurent-de-Chamousset, Givors, le Bois-d’Oingt, vers la Loire, Saône-et-Loire, la Drôme, l’Isère, l’Ain, etc. : en 1819, sur « un rayon de plus deux myriamètres ; » en 1889, sur un rayon de plus de 80 kilomètres. « A l’ancienne et grande unité du travail dans l’enceinte de la ville, la marche du temps a substitué cette trinité du travail à la main dans la ville, avec 12 000 métiers ; du travail à la main dans les campagnes, avec 55 ou 60 000 métiers ; et enfin du tissage mécanique, avec plus de 20 000 métiers, qui constituent aujourd’hui, dans leur étroite alliance, les trois grandes assises de notre production manufacturière[2]. »

Ce mouvement qui devait fractionner « l’ancienne unité du travail » en « trinité » dont le troisième terme serait le tissage mécanique, on le prédisait, et des économistes l’appelaient de leurs vœux dès 1848 ou 1850. Audiganne en analysait, en 1854, les conséquences bonnes et mauvaises :

« L’agglomération des métiers dans les ateliers mécaniques commence à menacer le travail à domicile, surtout celui qui est le plus coûteux, celui de l’industrie urbaine. Quelques établissemens munis de moteurs hydrauliques sont en pleine activité dans les départemens voisins du Rhône, dans l’Ain, dans l’Isère ; si quelques essais à la vapeur n’ont pas aussi bien réussi, on peut du moins prévoir que le succès sera le prix de nouvelles études et de persévérans efforts. Le mouvement qui s’annonce paraît devoir répondre à notre civilisation, qui tend si ostensiblement à remplacer, dans la production industrielle, la force humaine par des forces conquises sur la nature physique. Appelé à d’infaillibles progrès, ce mouvement a débuté avec une prudente

  1. La Fabrique lyonnaise, p. 25.
  2. Ibid., p. 27.