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IV

Voilà pour les pièces « historiques. » Si elles nous ont démontré que l’écrivain a quelque peine à se transporter dans une autre époque, elles nous ont fait entrevoir qu’il ne juge pas très sainement de la psychologie des races étrangères.

Arms and the Man va nous confirmer dans cette pensée. Cette fois, nous sommes en Bulgarie, au plus fort de la guerre contre les Serbes. M. Bernard Shaw, pour se représenter les caractères et les mœurs de la Bulgarie en 1885, s’est servi d’un procédé qu’il nous livre ingénument et que le lecteur appréciera. Il s’est dit : « Ces gens-là. retardent d’environ trois quarts de siècle sur l’Europe occidentale. Par conséquent un vieux propriétaire campagnard aura les idées d’un squire anglais vers 1800, tandis qu’un jeune homme de bonne maison en sera déjà à la pose satanique et byronienne. » Et il a eu ainsi sa Bulgarie : ce n’est pas plus difficile que cela !

Mais Arms and the Man n’a pas pour objet de nous initier à la vie bulgare. Son but avoué est de prouver que ce qui caractérise le soldat, ce n’est pas le courage, c’est la lâcheté. M. Shaw s’y prend de la manière suivante. Mlle Petkoff est seule dans sa chambre. C’est la nuit après la bataille de Slivnitza, et la campagne est couverte de fuyards auxquels les troupes victorieuses donnent la chasse. Des coups de feu éclatent autour de la maison. Tout à coup un de ces fuyards pénètre dans la chambre par le balcon. C’est un officier serbe, un officier d’artillerie, les vêtemens en lambeaux, couvert de sang et de boue. « Si vous appelez, si vous poussez un cri, si vous faites un mouvement, je vous tue. » Et il tient la jeune fille sous le feu de son revolver. Elle reste immobile. Cependant on frappe à la porte de la maison où l’on a vu entrer le fugitif. Un officier pénètre dans la chambre, mais Mlle Petkoff, en qui s’éveille la pitié de la femme, cache le malheureux dans l’épais rideau de la fenêtre et fait face aux interrogations avec autant de sang-froid qu’elle en a montré tout à l’heure en présence de l’arme braquée sur elle. Enfin, tout le monde s’est retiré, la fusillade s’éloigne et une curieuse conversation s’engage entre la jeune fille et son hôte. Ce n’est pas un Serbe, mais un Suisse qui fait la guerre à la manière de