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n’est qu’un remplissage fastidieux et agaçant. Mais les deux scènes qui terminent le second et le quatrième acte abordent franchement le problème. Mrs Warren est énergique et intelligente ; sa fille ne l’est pas moins. La mère se défend vigoureusement ; elle raconte sa vie sans mensonge, sans pleurnicherie, avec une brutale simplicité. « Je ne voulais pas être battue par un mari ivrogne comme une de mes sœurs, ni crever à l’hôpital, empoisonnée par les effets d’un métier malsain comme mon autre sœur. J’avais une troisième sœur qui s’était laissé séduire. Le clergyman avait prédit qu’elle finirait au fond de la rivière. Elle vit dans l’aisance, entourée de respects. J’ai fait comme elle ; je suis devenue son associée. J’ai pris la seule industrie, le seul commerce possible à une jeune fille qui n’a d’autre capital que sa personne. » À quoi miss Warren pourrait répondre : « Vous étiez en droit de vendre votre chair, non celle des autres. » Mais elle a été touchée par le plaidoyer de sa mère et paraît accepter la situation, parce qu’elle croit que Mrs Warren en a fini avec son affreux métier. Lorsqu’elle apprend qu’il n’en est rien, la rupture entre les deux femmes devient irrévocable, et miss Warren met froidement sa mère à la porte de l’humble bureau où, à l’avenir, elle entend gagner sa vie par son travail. Soit, mais ce n’est pas une conscience bien délicate, bien précise, ni bien sûre d’elle-même qui accepte sa part d’un revenu prélevé sur les vices de Vienne, de Berlin et de Bruxelles, à la condition que ces revenus datent de plusieurs années, mais se cabre et se révolte à l’idée qu’ils datent de la veille. Quant au dénouement, je l’accepterais dans sa rigueur si je pouvais croire à cette mère qui aime sa fille, mais qui aime encore mieux sa profession. Maintenant que Mrs Warren est riche, n’a-t-elle pas cent manières de dépenser son activité et ses talens administratifs d’une façon rémunératrice et à peu près honnête ?

Cette pièce touche à la question de l’éducation et des rapports entre païens et enfans, mais dans un cas tellement exceptionnel qu’on ne saurait en déduire une théorie. Le problème est posé d’une manière beaucoup plus générale dans You never cantell. La pièce ne s’annonce guère, pourtant, comme une « pièce à thèse. » Elle débute comme une farce et s’achève en arlequinade. Au premier acte, la scène est chez un dentiste, et le fauteuil de torture est occupé au lever comme au baisser du rideau. Nous ne voyons point arracher de dent, mais nous savons qu’on vient