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de nous restituer. Elle nous fait voir l’abbesse de Monza non seulement infidèle à son vœu de chasteté, mais poussée jusqu’au crime par une conséquence fatale de cet amour qui, comme le disait tout à l’heure Manzoni, a eu pour effet « d’altérer entièrement sa vie. »

L’auteur raconte d’abord, dans ces pages supprimées, comment les relations se sont engagées entre l’abbesse Gertrude et l’homme qui va devenir son amant. Un jour, comme Gertrude se promenait, seule, dans une petite cour de son monastère, elle a entendu une voix l’appelant ; elle a relevé la tête machinalement, et a aperçu le jeune homme qui, d’une fenêtre de la maison voisine, semblait lui demander la permission de descendre près d’elle.


Il faut rendre justice à cette malheureuse : quelle qu’ait été, jusqu’alors, la licence de ses pensées, le sentiment qu’elle éprouva, en cet instant fut une teneur franche et forte. Elle baissa aussitôt les yeux, fronça les sourcils avec une sévérité méprisante, et courut comme se réfugier sous l’abri du cloître : puis, se serrant contre le mur, elle parvint jusqu’à un petit escalier qui conduisait à sa chambre. Là, après avoir soigneusement verrouillé la porte, elle se laissa tomber sur un siège, toute haletante : et une foule de pensées lui assaillirent l’esprit. Elle commença d’abord à chercher, dans sa mémoire, si jamais elle avait fourni un motif quelconque à la hardiesse de cet homme, et s’étant reconnue innocente, elle se réconforta. Puis, toujours détestant sincèrement l’homme qu’elle avait vu, elle se mit à le revoir en pensée, à imaginer sa figure, afin d’arriver plus clairement à comprendre comment et pourquoi la chose s’était produite. Peut-être s’était-elle trompée ? peut-être le jeune homme avait-il voulu lui parler d’un sujet, indifférent ? Mais plus elle réfléchissait, plus il lui paraissait que sa première impression ne l’avait pas trompée : et ses réflexions, en même temps qu’elles fortifiaient sa certitude, la familiarisaient, peu à peu avec cette figure, diminuaient en elle l’horreur et la surprise premières. Chose étrange, le sentiment même de son innocence lui donnait une certaine sécurité à insister sur ces images. À présent, elle se complaisait librement à une curiosité dont, elle ignorait encore toute l’étendue, et considérait sans remords, sans précaution, une faute qui n’était pas la sienne. Enfin elle se leva, comme lasse de tant de pensées qui toutes aboutissaient à une seule ; et le désir l’envahit de se retrouver avec ses élèves, avec les sœurs, d’échapper à la solitude… Dans la salle des élèves, soit par hasard ou par un reste de curiosité, elle s’appuya à une fenêtre qui faisait face à la maison voisine, y regarda, vit le téméraire, qui n’avait pas bougé, s’éloigna aussitôt de la fenêtre, et sortit de la salle, en disant aux élèves, d’une voix toute troublée : « Travaillez bien ! » Mais à peine eut-elle pénétré dans le jardin, où elle s’était enfuie, qu’elle s’y sentit plus mal à l’aise encore que dans sa chambre. De nouveau la pensée lui vint : « Et si je m’étais trompée ? » Elle se dit qu’avant de dénoncer le jeune homme, ainsi qu’elle devait le faire, elle voulait d’abord