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détournant aujourd’hui du gouvernement et du parlement pour les chercher désormais ailleurs. M. Jaurès lui-même, dont le talent oratoire semblait devoir faire un parlementaire impénitent, se convertit à des procédés nouveaux, ceux du socialisme unifié. Cette unification, à laquelle il s’est rallié, ne s’est pas faite par lui, mais par M. Guesde, et ce n’est ni dans les Chambres, ni dans le gouvernement, que M. Guesde a dressé sa tente ; ce n’est pas sur eux qu’il compte pour atteindre son but, qui est la révolution. M. Jaurès n’en a pas un autre ; seulement il se plaisait dans les Chambres parce qu’il les entraînait, et il aimait le voisinage du gouvernement parce qu’il le dominait. Ses amis lui ont reproché de s’y être trop attardé. Il a expliqué alors qu’avant de livrer assaut à toutes les vieilles organisations politiques, il fallait les affaiblir intérieurement et en créer, extérieurement à elles, d’autres pour les remplacer. Ce double travail apparaît assez avancé aujourd’hui pour qu’on passe de la préparation à l’action : de là les procédés nouveaux du parti socialiste. Le discrédit jeté sur les lois, et par conséquent sur les Chambres qui les ont faites, est une manifestation de ces tendances, en partie inconscientes peut-être, en partie réfléchies, mais toujours plus impérieuses et plus victorieuses. Nous assistons au déclin du parlementarisme qui, d’ailleurs, y travaille lui-même avec un déplorable aveuglement. Qu’est-ce qu’un pouvoir qui ne subsiste qu’à la condition de céder sans cesse, et qui prend sur le gouvernement la revanche des humiliations qu’il est obligé lui-même de subir ?

Mais ces considérations touchent peu une Chambre qui vit au jour le jour, et qui n’a plus d’ailleurs qu’un petit nombre de mois à vivre. Dans la question des syndicats de fonctionnaires, elle n’a vu en réalité que la question ministérielle qu’on y avait rattachée, et il ne s’est agi en réalité pour elle que de savoir si M. Rouvier resterait au gouvernement ou en serait renversé. Sa majorité, dont nous avons donné le chiffre, serait très suffisante pour le faire vivre, si le parti républicain ne s’était pas divisé en deux fractions sensiblement égales, de sorte que le moindre poids devait incliner la balance dans un sens ou dans l’autre. Lorsqu’il a formé son ministère, M. Rouvier a déclaré, imprudemment peut-être, qu’il résignerait le pouvoir le jour où il n’aurait pas avec lui la majorité du parti républicain. Les socialistes n’ont pas manqué de crier que, si ce jour n’était pas venu, il était proche et que la chute définitive était inévitable. Rien n’était moins démontré, et il aurait suffi à M. Rouvier d’un peu plus de confiance en lui-même pour maintenir sa situation ; mais il s’est ému, il s’est troublé, il a cru