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un voyage à Sparte.

Ce jeune oiseau migrateur m’arriva porté sur deux ailes de poésie et d’impatience. Il cherchait un grenier où faire sa provision arménienne. Ce partisan, qui ne croyait pas décider les riches de sa nation par des appels au cœur, prétendit me gagner en me montrant mes avantages. « Qu’est-ce qu’une obscure campagne à Neuilly-Boulogne, disait-il, auprès d’une expédition en Cilicie ? » Les destinées interrompues de Byron m’attendaient sur des rivages fameux.

Si j’avais été indépendant, je serais parti avec Tigrane, en limitant mes ambitions, de manière à limiter mon échec : je me serais proposé simplement de courir une aventure. Pour la réussir, je manquais peut-être des qualités sportives. Mon jeune et idéaliste ami prévoyait l’objection, mais il la réfutait avec une arrière-pensée que la connaissance de l’histoire lui suggérait : « La cause de l’indépendance de la Grèce fut mieux servie par la mort de Byron qu’elle ne l’eût été par sa vie. L’exact emploi de cet illustre volontaire fut de fournir aux Grecs son argent, et puis un cadavre de bel effet. » À la bonne heure ! j’aime les idéalistes qui ont dans l’esprit des parties positives.

C’est très probablement dans le musée de Patissia que Tigrane a rêvé pour moi la fin honorable qu’il est venu me proposer à domicile. Il admirait la conception que les Grecs se font de la mort.

— Toute leur vie, disait-il, est une belle tragédie dont le tombeau fait le terme glorieux. Ils la jouent sur des petits théâtres. Dans leurs étroites cités, on promène le mort à visage découvert et chacun dit sur lui des éloges et des regrets. Ainsi le Grec s’habitue à considérer la mort comme un collégien le jour de la distribution des prix, qui est en même temps la veille des vacances.

J’indiquais au jeune Arménien que moi aussi je croyais qu’il y a deux ou trois choses plus importantes que la vie ; cette croyance est même le pain de notre race. Je lui rappelais les belles exclamations de Bonaparte : « Ne faut-il pas toujours périr ? Celui qui tombe sur le champ de bataille échappe à la tristesse de se voir mourir sur son lit, environné de l’égoïsme d’une nouvelle génération. Il n’a jamais inspiré la compassion que nous arrache la vieillesse caduque ou l’homme tourmenté par les maladies aiguës. » Dois-je avoir des remords si par de tels propos j’ai donné de l’espoir à Tigrane ? Aussi bien il m’était difficile de lui dire :