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en 1873, par l’amiral Touchard, l’intervention du prince de Joinville. À ce moment-là, j’avais déjà manqué d’éloquence auprès du ministre défavorablement influencé par son entourage ; j’avais trop brusquement renoncé à lui faire comprendre ce que mon croiseur avait de pratiquement réalisable, et tout ce que sa mise en essai offrait d’importance capitale, au point de vue des navires d’une puissance militaire supérieure. Je pensais avoir assez fait, quand j’avais répondu, sous la forme strictement réglementaire, à tout ce qui m’était demandé comme études de détail ou programme d’essais d’artillerie, sans chercher à y distinguer, soit une embûche, soit un moyen dilatoire retardant la solution, aussi longtemps qu’elle s’annonçait favorable.

Entre temps, j’eus la très grande satisfaction d’un éloge sans réserve de Dupuy de Lomé, à qui je n’avais point porté sans appréhension un travail si fort en dehors de son œuvre, et qui me rassura par une chaude accolade. La manière dont fut enlevée l’approbation du projet du Napoléon, avec la signature de M. Guizot, me fut révélée ce jour-là ; le prince de Joinville en dit un mot dans l’article publié vers cette époque par la Revue des Deux Mondes. L’avis de Dupuy de Lomé ne comptait malheureusement plus au ministère, en 1873.

À la fin de 1873, le renouvellement presque complet du Conseil y produisit un revirement d’opinion. Un avis défavorable succéda aux approbations antérieures, et fut, à l’inverse de celles-ci, sanctionné par une décision ministérielle immédiate.

J’ai dit que j’ignorais les motifs du rejet. Cette assertion ne paraîtra point contredite par le rappel d’une déclaration que me fit le successeur de l’amiral Touchard à la présidence du Conseil des travaux, et dont je n’ai pas oublié les termes textuels : « La France a fait le premier cuirassé. Il ne convient pas qu’elle fasse le premier décuirassé. » Il n’y avait mot à répondre à cette contre-évidence. J’ai mieux compris la pensée d’un autre président du Conseil, me disant, quelques années plus tard, à l’occasion d’un nouvel effort tenté pour interrompre au moins la prescription : « Vous vous battez les lianes, mon cher ami, pour nous trouver des croiseurs extraordinaires. Nous le connaissons depuis longtemps, le meilleur des croiseurs. C’est la frégate en bois. Je l’ai pratiquée. Que l’on est bien à bord ! » Les événemens allaient donner à cette appréciation la valeur d’une prophétie. Enfin, vers 1880, au cours d’un entretien avec l’ingénieur qui a la