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d’Aiguillon, et d’autres dont je pourrais vous remplir une litanie ! » Mais c’est aussi que le pauvre homme, avec la malechance bizarre qui semblait s’attacher à lui depuis son départ de Salzbourg, arrivait à Paris dans un mauvais moment. Il nous dit lui-même, à plusieurs reprises, que « pas n’est besoin d’avoir des lunettes pour découvrir, à chaque pas, les fruits de la dernière guerre. » Cette longue guerre, avec ses deuils et ses misères de toute sorte, venait en vérité de finir, le 10 février 1763, mais par une paix honteuse et désastreuse dont il n’y avait personne qui, de près ou de loin, n’eût à ressentir les tristes effets. La France était épuisée, ruinée ; et l’on se demandait si la paix, au lieu de lui rendre des forces, n’allait pas encore avoir pour résultat de l’affaiblir davantage. Sans cesse le Roi faisait enregistrer de nouveaux impôts : le 2 avril, le 31 mai, le 25 juin. La rente était réduite de moitié ; les impôts de guerre et les dons gratuits des villes se trouvaient maintenus indéfiniment. De haut en bas, la société française souffrait d’un malaise profond, qui allait bientôt se traduire par des remontrances solennelles du Parlement de Paris. Et l’on comprend que, dans ces circonstances, le prince de Conti, la duchesse d’Aiguillon, et les autres, ne se soient guère souciés d’accueillir la requête imprévue d’un obscur croque-notes allemand, qui s’offrait à leur exhiber, moyennant salaire, deux « prodiges musicaux, » ou prétendus tels ; mais l’on comprend aussi ce que devaient être le dépit et l’indignation du malheureux père, jusqu’au jour où, providentiellement, après plus d’une semaine d’inutiles démarches, il se souvint que la femme d’un marchand de Francfort lui avait donné une lettre d’introduction pour un de leurs compatriotes fixé à Paris, et qui passait même pour s’y être acquis déjà une influence considérable : un certain M. Melchior Grimm, secrétaire des commandemens du duc d’Orléans.


Ce personnage avait en effet réussi déjà, et depuis longtemps, à « se pousser dans le monde. » Arrivé à Paris en 1749, à vingt-cinq ans, il avait tout de suite profité de tous les hasards de ses rencontres pour s’insinuer dans l’intimité des gens de lettres et des financiers, des bourgeois enrichis et des grands seigneurs. Respectueux, complimenteur, empressé, se piquant de tout savoir, c’était assez qu’on le laissât entrer quelque part pour qu’il découvrît le moyen de s’y rendre indispensable, sauf ensuite à y