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un voyage à sparte.


XII. — JE QUITTE MYCÈNES À LA SUITE D’IPHIGÉNIE


Les chiens furieux et les enfans, avec un élan magnifique de tout le corps, se précipitent et battent l’air. Dans la nuit de leurs portes, les gens du misérable hameau de Karvathi nous regardent passer sous un plein soleil de midi. Avec un absurde désordre nos petits chevaux grimpent la longue pente pierreuse vers les collines fauves où nous allons trouver « Mycènes, abondante en or, et le palais, séjour sanglant des Pélopides. » Je suis confus de soulever tant de poussière quand j’ai le cœur si peu empressé.

J’aperçus bientôt sur un monticule, au pied d’âpres montagnes, un rocher désert que marquent dans la sauvagerie générale des blocs disposés en damier. Nul arbrisseau, nul herbage, des pierres et partout une horreur fastidieuse… Je franchis entre deux remparts noirâtres la porte royale écussonnée des lions fameux, qui évoquent l’Egypte et l’Iran, et j’entrai dans l’Oreste d’Euripide, dans l’Électre de Sophocle, dans la trilogie d’Eschyle.

Je visitai l’Acropole, ceinte de hautes murailles, l’Agora, ses tombes, le palais royal. Certainement ces ruines donnaient beaucoup de plaisir au vieillard qui me guidait, et sa figure me disait, tandis qu’il fumait des cigarettes : « Oui, ô étranger, voici ce que, nous autres d’une vieille race, nous pouvons montrer aux barbares. » Il me menait en faisant tourner sa canne, et derrière lui, je pensais : « J’espère que bientôt il aura terminé ce tour du propriétaire. »

Çà et là, sous le soleil, les fosses laissées béantes par les archéologues augmentent l’aspect de désolation. Schliemann, l’éventreur des tombeaux, ajoute un retentissant sacrilège à la série héroïque des crimes mycéniens.

Dans l’enceinte sacrée de la citadelle, sur l’Agora de Mycènes, l’heureux épicier d’Allemagne a trouvé dix-sept corps ensevelis luxueusement ; la Société archéologique d’Athènes, au pied de la colline et sur les pentes voisines, a exploré cinquante-deux sépultures. Un crâne se brisa, ne laissant aux mains impies qu’un riche diadème. Certains de ces squelettes furent conservés entiers parce qu’on les arrosa d’alcool saturé de résine. L’un d’eux, au lever de son masque d’or, avait encore les chairs de sa figure,