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de Mycènes, le lieu et la dame disconvenaient. J’en pris conscience, quand j’eus vécu toutes les heures du mont et de la plaine d’Alsace. Mais d’abord, je fus enivré. Je revenais d’un premier voyage en Italie. L’Italie nous raconte les plus belles amours sans daigner rompre notre isolement. C’est la déception de Tannhauser qui, repoussé de Rome, regagne nos forêts du Nord, et dit sa plainte dans des cris, sommet de toute poésie. Je crus qu’Iphigénie, type classique ranimé avec nos pensées rhénanes, m’attendait à Sainte-Odile, pour me donner le sens profond de mon pays ; grave méprise dont je fus averti par un mouvement de mon cœur.

Sous les bois du monastère, aucune strophe de nos hymnes ne s’accorde avec la vierge de Weimar. C’est ici le domaine d’Odile. Quand le colchique d’automne met sa délicatesse violette sur la prairie de Truttenhausen, et que les cloches de novembre, en pleurant l’année qui s’achève, commémorent mes parens, la vierge Odile s’avance et, les deux mains levées sur la plaine, dit une prière alsacienne. Une prière qui ne passe pas le Rhin, qui appelle, invoque, si je sais bien l’entendre, les héroïnes de Corneille et de Racine, formées sur le cœur de la France, plutôt que la noble jeune dame un peu lourde de la cour de Weimar.

Je ne puis pas dire « ma sœur » à l’Iphigénie de Gœthe. Cependant, par-dessus le vaste fossé rhénan et depuis le faîte des Vosges, j’aime admirer sa belle stature, sa démarche sans trouble, sa vertu de jeune Hercule féminin.

Peut-être n’est-il pas permis, — permis, ce mot si vague rend seul ma peur un peu mystérieuse, — que nous produisions au dehors nos pensées les plus intimes ; peut-être devons-nous protéger, voiler nos réserves, de crainte qu’une source, dont nous avons écarté les branches, ne se dessèche au soleil ; mais je dois reconnaître mes obligations. La destinée qui oppose mon pays à l’Allemagne n’a pourtant pas permis que je demeurasse insensible à l’horizon d’outre-Rhin : j’aime la Grecque germanisée.

Connaissez-vous les routes par où le Nord aborde l’Italie ? Ces belles civilisatrices, à chaque fois que nous les descendons, elles nous rajeunissent l’âme. D’étape en étape, un automne, par le col du Brenner, j’ai suivi Iphigénie dans le voyage d’amour qu’éternellement elle fait avec Gœthe.

Je les attendais sur le lac de Garde, au petit port de Torbole,