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la danse du printemps, la danse des colombes, d’autres encore. Les gens du village, accourus à leur suite, se les montraient les uns les autres en souriant. Quelques minutes s’écoulèrent avant que Sophie Paulowna ne s’écriât : — Mais c’est Gisèle ! Est-il possible ! Gisèle ! — Alors plus franchement les rires éclatèrent, les danseuses seules gardant leur sérieux. Elles tournoyaient en passant sous les bras l’une de l’autre, de jolis bras à demi nus, arrondis en arceaux, elles se querellaient, se tournaient le dos, se quittaient d’un geste d’adieu, pour revenir légères, en battant des mains, exécuter face à face ces pas compliqués qui, après la tristesse, le dépit, la colère, expriment toutes les nuances d’une réconciliation. Et, à chaque mouvement, la platka, cette pièce d’étoffe étroitement drapée en guise de jupe, s’écartait sur les hautes broderies de la chemise, révélant de petits pieds, des jambes nerveuses, des formes sveltes ; les rangs nombreux de colliers s’entre-choquaient avec bruit. Et les voix des assistans qui accompagnaient en chœur une mélodie monotone s’élevaient davantage, pressantes, excitées. Elles étaient exquises, ces deux paysannes, la vraie et la fausse, si parfaitement appareillées à première vue et pourtant si différentes, rivalisant de grâce, Nadia très supérieure par le style classique pour ainsi dire transmis de génération en génération et qu’elle avait dans le sang, Gisèle, infiniment moins scrupuleuse, cédant aux inspirations de sa fantaisie et faisant de ces figures, réglées comme un rite d’église, autant de figures de ballet. Mais l’une et l’autre sentaient tout de bon l’élément dramatique des danses russes ; la rivalité qu’elles affectaient était bien dans leur cœur, rivalité de femmes ou d’artistes ?…

J’eusse pour ma part donné la palme à Nadia, mais les paysans regardaient avec émerveillement l’étrangère travestir et dénaturer si bien leurs traditions. Lorsqu’elles s’arrêtèrent, les applaudissemens partirent du balcon et les acclamations du peuple s’y mêlèrent.

— Je vous avais dit que j’apprendrais, répondit à mes complimens Mlle Walther un peu haletante.

Je vis Nadia parler rapidement à Féodor dont la réponse lui fit froncer le sourcil, tandis que Grégoire Morozov auprès d’eux se mettait à rire.

— Que disent-ils ? demandai-je à ce dernier.

— Elle dit que jamais étrangère ne dansera comme il faut