Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 30.djvu/839

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Marche lentement… lentement… supplia-t-il.

Lorsqu’il n’entendit plus le bruit de ses pas, il sentit qu’il avait bu toute l’amertume de la mort…


X
Merzin fut condamné tout enfant par les bardes de Vortigern à être offert en sacrifice sur les fondemens d’une citadelle (Ve s.).
LA VILLEMARQUE.
(Poèmes des bardes bretons.)

Les sacrifices druidiques s’offraient aux deux points extrêmes du jour, à midi et à minuit. C’était en pleine nuit, à la lueur des torches que l’on brûlait autrefois le colosse d’osier rempli de victimes humaines. Il n’y avait pas d’holocauste plus digne d’Hésus l’effroyable, Hésus dont Lucain disait « qu’il inspire la terreur par ses autels sauvages. » Des siècles avaient passé sur ces coutumes barbares. Pour une immolation unique, le rite devait s’accomplir à midi, au plus haut point du soleil. Mais, en dépit des instances du druide, Gradlon avait exigé le moins de pompe, le moins de retentissement possible : il aurait voulu qu’on tuât Rhuys le soir, ou dans le cachot même. Gradlon se repentait ; il avait peur des moines… Le druide obtint enfin que le sacrifice aurait lieu à l’aurore, à l’instant précis où jailliraient les premiers rayons du soleil ; c’était un jour de répit pour le condamné, un jour d’inquiétude et de trouble pour le roi. Aussi, dès l’aube, Gradlon chevauchait sur la route de Kemper ; il fuyait, comme les faibles de tous les temps fuient devant les conséquences de leurs fautes. Ahès, dans une ignorance absolue, était repartie le soir même pour le sud de la Cornouaille, ainsi qu’elle l’avait dit à Rhuys.

Le druide demeurait donc seul, en présence de la foule qu’il haranguait, à laquelle il annonçait des biens sans nombre, l’alliance et l’appui des dieux redoutables. Le départ de ces dieux devant les idoles romaines avait attiré tous les malheurs ; leur retour ouvrirait une ère de prospérité nouvelle. Mais bientôt il se lassa de ces discours. La foule indifférente lui semblait plus distante de son âme que les troncs des chênes où, pensif, il songeait qu’Hésus l’entendait encore. Il quitta brusquement le peuple. Il alla vers le prisonnier qui, maintenant, était en sa puissance.