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mais leurs voix n’avaient d’écho ni auprès de l’Empereur ni auprès du chancelier. Le comte de Bülow, interrogé au Reichstag, quelques jours après l’accord du 8 avril entre la France et l’Angleterre, déclarait que la nouvelle convention ne lui paraissait avoir « aucune pointe dirigée contre l’Allemagne. » Cette « affirmation optimiste[1] » constituait, aux yeux du chancelier, une sorte d’avance au gouvernement français et lui paraissait appeler une démarche de courtoisie, soit de la part du ministre des Affaires étrangères de la République, soit de la part de son ambassadeur à Berlin[2]. Cette démarche ne fut pas faite. Le discours du 12 avril marque l’instant critique où pouvaient encore être prévenues les complications qui allaient survenir ; l’abstention du cabinet de Paris, dans cette circonstance, fut, pour le chancelier, l’occasion d’un déplaisir personnel ; il y vit le résultat d’une volonté consciente d’ « ignorer l’Allemagne » et l’indice d’une vaste intrigue diplomatique préparée contre elle.

C’était le moment où le bruit commençait à se répandre que le ministre français des Affaires étrangères, par tout son système d’alliances, d’ententes et de rapprochemens, poursuivait un résultat autrement considérable que d’établir la suprématie de la France au Maroc et qu’il cherchait à réaliser « l’isolement de l’Allemagne. » Ce qui n’apparaissait au public que comme un procédé pour résoudre la question marocaine, faisait-il, en effet, dans l’esprit du ministre, partie d’un système de politique générale dont « l’isolement de l’Allemagne » serait apparu, en un mirage lointain, comme l’aboutissement ? On a paru le penser en Allemagne et l’on a cru en trouver une confirmation dans les articles d’une certaine presse ou dans les propos de certaines personnalités, qui adressaient au ministre des éloges de nature à faire croire que les ententes négociées, à propos du Maroc, avec trois grandes puissances, à l’exclusion de l’Allemagne, se coordonnaient et se complétaient jusqu’à constituer contre elle une menace encore lointaine mais déjà précise.

  1. Voyez sur ce point la conversation du prince de Bülow avec M. Georges Villiers, dans le Temps du 4 octobre dernier.
  2. « Mon attente que l’autre partie s’aboucherait et s’entendrait avec nous, avant de mettre ses plans à exécution au Maroc, ne s’est pas réalisée. On ne nous a fait, dans tous les cas, aucune communication sérieuse et suffisante au sujet de l’accord. » (Discours du 7 décembre.)